La politique de défense

Tout comme François Mitterrand avait assumé la continuité de la politique de défense du général de Gaulle – poursuivie par Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing –, le gouvernement Balladur n'entend remettre en question ni la primauté du président en matière de feu nucléaire, ni le maintien du concept de dissuasion, pas plus que le principe de la conscription. Cohabitation oblige, la défense n'a pas échappé à la tonalité consensuelle. Et il n'y a plus guère que la question de l'OTAN – y retourner ou pas – qui semble susceptible de réveiller quelques humeurs guerrières.

Le livre blanc

Intervenant devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, François Léotard a inscrit son projet dans le fil de la politique engagée par son prédécesseur. Pas de rupture donc, la défense ne se prêtant pas aux virages brusques, encore moins aux révolutions. Néanmoins, le ministre a annoncé qu'il se donnait un an pour « repenser la défense ». Un nouveau Livre blanc – le précédent date de 1972 – sera présenté au Parlement au printemps 1994. On sait déjà qu'aucun grand bouleversement n'est à attendre, même si la nouvelle programmation doit engager la politique de défense de la France au-delà de l'an 2000. Les nécessaires évolutions et adaptations de l'outil militaire se feront sous la triple contrainte du nouveau contexte stratégique, du développement des crises et de la constitution, jugée essentielle, du pôle européen de défense.

Restructuration, la pause

La réduction du format de l'armée de terre avait été la grande affaire de la politique de Pierre Joxe. Le nouveau ministre de la Défense entend, en la matière, sinon inverser, du moins freiner la tendance. Il s'agit notamment de permettre aux armées de mieux assimiler les mesures et les diminutions d'effectifs. Alors que 25 000 emplois dans le secteur de la défense avaient été supprimés en 1992, puis 22 400 en 1993, le projet de budget pour 1994 ne prévoit pas de nouvelles réductions d'effectifs. Cette décision obéit à plusieurs objectifs, certains étant techniques – les mesures rendues publiques en 1992 et 1993 voient leur application courir encore sur l'année 1994 –, d'autres psychologiques – le processus de déflation des effectifs est jugé trop brutal. Si tout cela est indéniable, il n'en demeure pas moins que le calcul n'est pas dénué d'arrière-pensées politiciennes. En effet, les années 1994 et 1995 seront chargées en échéances électorales : scrutins cantonaux (mars 1994), européens (juin 1994), présidentiels (mai 1995) et sénatoriaux (septembre 1995). Personne n'ignore plus, depuis les deux précédentes réorganisations du patrimoine domanial des armées, que les restructurations militaires peuvent être lourdes de conséquences en ce qu'impliquent, pour les régions ou les communes concernées, la fermeture de garnisons, les dissolutions ou les transferts d'unités. Dans ces conditions, les candidats aux élections sont particulièrement sensibles aux possibles mouvements d'humeur de l'électorat. Déjà, au printemps 1993, la fraction la plus dure du RPR n'avait pas caché sa grogne face à la détermination affichée de François Léotard de poursuivre le plan de réduction décrété par Pierre Joxe.

Dépenses d'équipement militaire

En septembre, lors de sa première sortie en tant que Premier ministre dans des unités militaires, Édouard Balladur a annoncé officiellement ses options en matière de crédits militaires. Ainsi, les dépenses d'équipement, en y incluant des reports de crédits de 1993, devraient s'élever à 130 milliards de francs, soit quelque 5 % de hausse. Pour sa part, le budget de fonctionnement, avec quelque 96 milliards de francs, enregistrerait une augmentation de 1 %. Globalement, les dépenses d'équipement, selon le Premier ministre, « évolueront plus rapidement que la moyenne du budget de l'État ». Quant à la question de la mise en chantier d'un second porte-avions nucléaire, M. Balladur s'est déclaré favorable sur le fond, tout en signifiant qu'aucune décision ne sera prise avant deux ans. L'option « deux porte-avions » est défendue par l'état-major des armées, qui l'estime nécessaire dans la perspective d'une préparation de la France à des engagements de forces loin du territoire national, avec des moyens importants, dans un cadre multilatéral et avec des délais courts. Même son de cloche à la Délégation générale pour l'armement (DGA), qui fait valoir que le choix est « entre zéro ou deux porte-avions » dans la mesure où un tel bâtiment se trouve généralement immobilisé huit mois sur quarante en raison des nécessaires périodes d'entretien et de réparations. Du côté des sceptiques, on se plaît à rappeler que ce sont deux avions A-10 de l'armée de l'air américaine – et non de l'aéronavale – qui sont intervenus avec succès lors de manœuvres d'intimidation dans le ciel bosniaque, le 25 août. Quoi qu'il en soit, le débat sur l'augmentation des capacités de projections de l'aéronavale a été suivi avec une attention aiguë par les travailleurs de l'armement, touchés de plein fouet par l'effondrement du marché des armes. Ainsi, dans le numéro de mai de la revue mensuelle Défense nationale, Henri Martre, ancien P-DG du groupe Aérospatiale et vice-président du Conseil général de l'armement, conclut qu'il faut s'attendre à environ 100 000 suppressions d'emplois dans l'armement d'ici à 1995. Si les évaluations avancées par H. Martre sont exactes, 29 % des travailleurs de ce secteur seront touchés par des suppressions d'emplois liées au déclin des activités.

Paysage et choix stratégiques

En raison des incertitudes fondamentales qui caractérisent la situation actuelle, et compte tenu des difficultés spécifiques qui pèsent sur toute orientation de défense – dimension européenne, poids de l'héritage et, bien sûr, contraintes de l'économie –, il apparaît que l'approche logique « objectifs-missions-moyens », modèle stratégique original de la France pendant plus de trente ans, est mal adaptée aux conditions de 1993. Certains ont donc emboîté le pas à l'amiral Pierre Lacoste, qui préconise « une approche plus pragmatique, fondée sur les exigences permanentes des forces armées en matière de dissuasion, de protection, de prévention et d'intervention ». Jadis, seule l'ouverture aux marchés étrangers d'armement pouvait garantir l'équilibre du budget des armées. On se souvient que les États-Unis, en pleine guerre du Viêt Nam, n'étaient plus en mesure de fournir leurs clients habituels.