Parallèlement, les campagnes subissent la loi des potentats locaux qui se sont affirmés avec la décentralisation. Les paysans doivent faire face à une multiplication de taxes et surtaxes arbitraires, officiellement motivées par des projets « collectifs » (taxes sur l'entretien des arbres, l'assainissement des cours d'eau...), mais qui, en réalité, vont directement dans la poche des responsables locaux. Lors d'une réunion à Pékin, le 22 juillet, les autorités centrales ont décidé de supprimer une trentaine de taxes jugées inutiles et ont rappelé que le maximum de prélèvement fiscal sur les paysans était fixé à 5 % de leur revenu. Mais les cadres locaux restent tout-puissants. Traditionnellement soumise et passive, la paysannerie commence à manifester contre ces abus croissants. Plus de 400 incidents ou jacqueries ont été répertoriés en 1993. C'est au Sichuan (la province la plus peuplée, avec environ 150 millions d'habitants), mais aussi dans les provinces pauvres jouxtant les zones côtières à fort développement, comme l'Anhui, le Guangxi, le Henan ou le Hunan, que les troubles sont les plus fréquents. Le problème est rendu encore plus complexe lorsque ces paysans sont issus de « minorités nationales » (7 % de la population), les révoltes paysannes prenant alors facilement l'aspect de manifestations indépendantistes. Les pourtours de l'empire sont les plus visés, notamment le Xinjiang, le Tibet, la Mongolie et même le Qinghai. Finalement, le problème des campagnes a des incidences directes sur les villes. Plusieurs millions de paysans, se retrouvant sans emploi du fait de la décollectivisation, partent tenter leur chance dans les grandes villes.

Ce mouvement d'exode rural, classique dans toutes les sociétés en phase d'industrialisation, prend cependant des proportions inquiétantes compte tenu des dimensions de la Chine. Entre 80 et 160 millions de paysans chinois seraient actuellement sur les routes. Aucune structure d'accueil ne les attendant à l'arrivée, ces paysans désabusés vont ainsi renforcer la « population flottante » installée aux alentours des grandes gares, prête à se livrer au plus offrant. Les mendiants, qui avaient disparu pendant toute la période communiste, ont refait leur apparition, cette année, aux abords des hôtels et des grands magasins. Les autorités s'inquiètent de cette situation, la « population flottante » étant par essence incontrôlable. Une augmentation de 30 % de la criminalité a ainsi été enregistrée au cours des dix derniers mois, et les autorités ont lancé depuis la fin septembre une vaste campagne de « lutte contre la criminalité », qui se solde parfois par des rafles gigantesques (200 exécutions fin septembre dans le pays, 10 000 personnes arrêtées à la mi-octobre dans le Hubei). Ces opérations, masquant parfois l'arrestation d'opposants politiques ou religieux, sont également destinées à décourager la corruption, devenue endémique. Lors du 3e plénum du 14e Comité central du Parti communiste, clos le 14 novembre à Pékin, les dirigeants chinois ont essayé de concilier sur le plan idéologique communisme et économie de marché. Avec un succès mitigé, rendant évidentes les contradictions de ce capitalisme non avoué. Un autre secteur de la société, perturbé par les réformes, préoccupe aussi les autorités : l'armée. Les 3 millions de soldats chinois qui avaient bénéficié de régimes privilégiés pendant la période communiste (appartements de fonction, avantages en nature) voient leur solde fixée à un taux ridicule, proportionnellement à l'augmentation du cours de la vie et à l'enrichissement massif des entrepreneurs privés. Gagnée par la fièvre de l'argent qui atteint toute la Chine, l'armée s'est lancée dans les affaires. Les grosses corporations d'armement se reconvertissent dans des activités privées. 70 % des bénéfices de l'industrie de défense proviendraient déjà d'activités privées. Le principal conglomérat de l'armement, le groupe Norinco, qui regroupe 157 entreprises et 800 000 employés, se distingue ainsi davantage aujourd'hui par son poids sur le marché des minibus que par sa production de tanks et de munitions. Les autorités s'inquiètent des ventes et exportations illicites de matériel militaire, opérées de bas en haut de la hiérarchie. Les experts militaires estiment ainsi que les exportations de grande envergure effectuées par le groupe Poly échappent aux contrôles officiels grâce aux réseaux de relations dont bénéficient ses dirigeants, fils de cadres élevés du Parti.

Paysans

Les 900 millions de paysans chinois sont mécontents et le font savoir. Plus de 400 jacqueries ont été enregistrées dans le pays en 1993. Les autorités centrales s'inquiètent et tentent de rétablir le calme en diminuant les taxes. La différence de niveau de vie se creuse néanmoins entre les villes (+ 12 %) et les campagnes (+ 5 %). Les potentats locaux font régner leur loi et le parti communiste redoute de perdre le soutien des campagnes qui constitue son assise depuis les années trente.

La candidature aux jeux Olympiques

Sur le plan diplomatique, 1993 restera marqué par la grande déception due au rejet de la candidature de Pékin pour les jeux Olympiques de l'an 2000. Une énorme machine de propagande intérieure et internationale avait été lancée par les autorités dès le début de l'année pour tenter de convaincre les membres du CIO (Comité international olympique). Libération de dissidents célèbres, réception royale des membres du CIO, vaste campagne visant à mobiliser l'opinion publique chinoise en faveur des Jeux, entraînement intensif des sportifs chinois, les athlètes féminines faisant une razzia de médailles d'or lors des championnats du monde de Stuttgart, en août..., l'énorme machine a fini par semer la suspicion, et, le 23 septembre, le CIO a retenu la candidature de Sydney, en Australie, provoquant colère et amertume du côté chinois.