Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Maghreb

L'Union du Maghreb arabe ne se porte pas bien aux yeux de membres aussi importants que l'Algérie. La présidence en a échu à la Tunisie en 1993 ; celle-ci a tenté de donner une nouvelle impulsion en proposant des mesures propres à faire appliquer les conventions signées depuis 1989 et restées sans effet pour la plupart. Dès le début de l'année, les ministres des Affaires étrangères ont pris la décision de marquer une « pause » dans la construction de l'UMA pour clarifier son action. De fait, pour l'ensemble des pays du Maghreb, l'année 1993 a semblé celle de l'attente, chacun s'efforçant de mener ses affaires comme à l'accoutumée, tout en gardant les yeux fixés sur l'Algérie.

La présence française

La France continue d'occuper une place prépondérante dans l'économie du Maroc, de la Tunisie et de l'Algérie : premier partenaire commercial, premier investisseur, premier créancier, premier pourvoyeur d'aide et de crédits... Mais, si les trois pays du Maghreb effectuent 25 % de leurs échanges commerciaux avec la France, celle-ci ne leur consacre que 2,4 % des siens.

La Tunisie

La Tunisie poursuit une politique de libéralisation économique qui lui a valu en avril-mai le satisfecit de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et du GATT. Elle mène aussi une lutte policière constante, notamment contre les islamistes, ce qu'Amnesty International a relevé dans son rapport du mois de juin. Des personnalités tunisiennes de toutes les forces démocratiques avaient dès le mois d'avril dénoncé les atteintes aux libertés et aux droits de l'homme. Le gouvernement sait cependant se montrer sensible aux appels de la Ligue tunisienne des droits de l'homme et reconnaît aux partis d'opposition (islamistes exceptés) une certaine marge d'action surveillée.

En juillet, le Rassemblement constitutionnel démocratique a tenu son congrès sous le signe de « la persévérance ». Le président Zine el-Abidine Ben Ali, réélu président du parti, a confirmé sa ligne : barrage à l'intégrisme, libéralisation de l'économie, instauration d'un pluralisme parlementaire (pour le moment absent).

Le Maroc

La place et le rôle de l'opposition, ainsi que les atteintes aux droits de l'homme, font aussi partie des problèmes du Maroc, de même que l'accélération des privatisations et la libéralisation du système financier. Les élections législatives au suffrage direct en juin, précédées par de longues et laborieuses discussions, ont vu une percée du « bloc démocratique » groupant l'Union socialiste des forces populaires (48 sièges), l'Istiqlal (39), 8 sièges allant au Parti du progrès et du socialisme. Au centre, le Rassemblement national des indépendants, favorable à une alliance parlementaire avec l'opposition, obtient 28 sièges, et le Mouvement national populaire, 14. Enfin, trois partis de l'ex-majorité parlementaire, l'Union constitutionnelle (27 sièges), le Mouvement populaire (28) et le Parti national démocrate (14), forment une sorte de « bloc des droites ». Mais ces élections, où les abstentions furent fortes (37 %) et où de nombreuses irrégularités furent dénoncées, sont complétées par celle de 111 autres députés au suffrage indirect. Au terme de l'ensemble du processus, le bloc démocratique obtient 115 sièges, le RNI 41, le MNP 25, l'UC 54, le MP 51 et le PND 24. La déception corrélative du bloc démocratique, qui n'a obtenu que 20 sièges de plus au suffrage indirect, ne permet pas de conjecturer le degré d'ouverture du jeu politique.

Des quatre pays du Maghreb, c'est encore le Maroc qui paraît le moins préoccupé par l'islamisme algérien. La Libye, en revanche, toujours empêtrée dans l'embargo international qui lui est imposé par l'ONU, voit son leader osciller entre la violente dénonciation de l'islamisme et la recommandation d'appliquer strictement la loi religieuse. Le point commun aux pays du Maghreb réside dans le traitement simultané de l'ouverture libérale sur l'économie mondiale et du nationalisme culturel. Deux tendances apparemment très fortes – car la première nourrit la seconde –, qui rendent à la fois indispensable et difficile l'instauration d'un processus démocratique et pluraliste stable.

La Grande Mosquée Hassan II

Le roi du Maroc a inauguré, le 30 août, à Casablanca, la deuxième mosquée du monde après celle de la Mecque. Cet édifice, construit par des Français et en majorité financé par une souscription populaire, est bâti en partie sur pilotis au-dessus de la mer, et pourra accueillir 35 000 fidèles dans son enceinte et 80 000 autres sur son parvis de marbre. Le nouveau minaret, le plus haut du monde avec ses 200 mètres (contre 89 mètres pour la Mecque), est visible à des dizaines de kilomètres à la ronde. Il abrite un laser dont le rayon, qui indique la direction de la Mecque, peut être vu à 40 km à la ronde. « L'ensemble, estime l'écrivain Tahar Ben Jelloun, serait légitimé par la seule remise en honneur d'un artisanat marocain que le tourisme avait eu tendance à tirer vers le bas. » Mais la mosquée, qui aura coûté beaucoup plus cher que prévu (3 milliards de francs contre 1 milliard prévu en 1987), est, pour le moment, boudée par les leaders arabes.

Maroc : le creusement des inégalités

Plus de trois millions d'enfants en âge d'être scolarisés ne le sont pas ; le tiers des ménages citadins n'ont pas d'eau courante ; le chômage touche plus de 17 % des citadins ; un ministre gagne 50 fois plus qu'un smicard et sept fois plus qu'un professeur d'université...

Libye

Les conséquences de l'embargo international décidé en avril 1992 contre le pays commencent à se faire profondément sentir et à déstabiliser la société libyenne. Les salaires, gelés depuis 1975, décrochent de plus en plus du coût réel de la vie, tandis que les services de santé et d'éducation se dégradent chaque année un peu plus, empêchant les Libyens moyens de continuer à bénéficier des prestations de qualité que la manne pétrolière leur permettait jadis. Les citoyens n'appartenant pas à la nomenklatura cherchaient jusqu'alors à boucler leurs fins de mois en cumulant deux emplois ; une loi récente interdit cette pratique à tous les titulaires d'une fonction publique. La délinquance et le trafic de drogue se développent alors comme solution alternative. Le mécontentement grandit dans l'opinion et fait dire à beaucoup que le malaise social est au moins autant la conséquence de l'incurie du régime que de l'embargo.