Grand gagnant de la saison : Matisse, qui bénéficie du coup de projecteur des expositions de New York et de Paris. En mai, chez Sotheby's, la Mulâtresse Fatma trouvait preneur pour 13 millions de dollars ; en novembre, une banque suisse déboursait 13,7 millions de dollars (82 millions de francs) pour une grande gouache découpée de 1951, la première du genre à passer au feu des enchères. Mais le record de la saison revient à Cézanne, avec sa Nature morte aux grosses pommes adjugée 26 millions de dollars en mai chez Sotheby's, soit plus de 140 millions de francs. Il y a trois ans qu'un tel prix n'avait pas été atteint aux enchères !

À Paris, c'est un grand Kandinsky de 1923, le Cercle noir, qui s'adjuge la meilleure place de l'année, avec 39,5 millions de francs, sous le marteau de Me Loudmer, à l'actif d'un collectionneur étranger.

Du côté des contemporains, en revanche, c'est toujours la débâcle, charrieuse de ravalos en série. À l'exception de certaines valeurs qu'il faut bien appeler « classiques », tels Jackson Pollock (2,2 millions de dollars chez Christie's pour Number 19, 1948), Willem De Kooning avec un dessin poussé à 800 000 dollars chez Sotheby's, et un Bacon adjugé 1,1 million de dollars. Fiasco, en revanche, pour les douze Warhol de la collection Frederik Hughes, dont deux seulement trouvèrent preneur en mai à New York.

Des signes encourageants viennent du relatif succès de la FIAC : 130 millions de chiffre (100 millions en 1992) et de bonnes ventes, d'une part pour les grandes œuvres à plus du million, d'autre part pour les choses plus modestes à moins de 80 000 francs. La tranche critique demeurant celle des 200 000/500 000 francs. Preuve que les amateurs sont toujours prêts à se manifester... à des prix raisonnables, et que le marché pourrait repartir prochainement, sur des bases saines.

Rien de très probant, en revanche, du côté des tableaux anciens dont le marché est alimenté en abondance en œuvres banales, abîmées, repeintes, en « attribué à » ou « école de ». Avec parfois un joli bouquet, ou un paysage, signés Bruegel, Soreau, Monnoyer, Louise Moillon..., qui trouvent facilement preneur entre 500 000 et 1 500 000 francs. La barre de 10 millions de francs reste pourtant un seuil, frôlé cette année à Paris par un joli tableau orientaliste de Liotard, adjugé 9 855 000 francs, frais compris, mais dont le visa de sortie a été refusé par le ministère de la Culture. D'où un problème qui, malgré la prétendue libéralisation du marché, s'est reproduit à plusieurs reprises cette année, avant comme après les élections de mars, en amont ou en aval de la vente : une interdiction de sortie divisant chaque fois le prix espéré par deux ou par trois !

Ce protectionnisme n'ayant pas cours outre-Manche, c'est le musée Getty qui s'approprie, début juillet chez Christie's à Londres, pour 3,8 millions de livres (32,7 millions de francs) un dessin à la plume de Michel-Ange, Repos pendant la Fuite en Égypte, que le British Muséum n'avait pas les moyens de s'offrir. Mais une étude de draperie de Léonard de Vinci avait fait mieux, il y a quatre ans, avec 35,5 millions de francs, en décembre 1989 chez Sotheby's à Monaco. Dans l'ensemble, les ventes de dessins anciens, surtout s'ils viennent d'une collection célèbre, se déroulent sans problème, avec moins de 25 % d'invendus, mais dans des sphères largement inférieures aux deux grands maîtres cités plus haut, le seuil du million de francs restant difficile à franchir.

Le poids de l'histoire et du diamant

Du côté des objets de collection, on joue également aux montagnes russes.

Les arts primitifs d'Afrique et d'autres pays, par exemple, amorcent une descente en chute libre. Florissant pourtant depuis plusieurs années, notamment à Paris, l'art nègre ne s'est illustré en 1993 que par des déboires.

Au rayon des bijoux, les stars n'ont pas manqué. Reines de beauté ou souveraines de l'histoire, la saison fut bien alimentée en joyaux historiques. Pendant que les meubles, les tableaux et les objets de collection progressent en crabe ou en dents de scie, le marché du bijou précieux avance glorieusement à raison de 20 % de mieux par an, fort d'un marché international qui va de l'Amérique du Nord à l'Asie du Sud-Est, en passant bien sûr par le Moyen-Orient. Quoi qu'on en dise, donc, le diamant demeure éternel, et, en période d'inquiétude, la pierre la plus pure demeure le plus sûr refuge, surtout quand elle est bien grosse.

Françoise Deflassieux