À côté des « heureux » et des « damnés », voici le peloton fourni des écrivains confirmés, anciens lauréats ou vétérans des rentrées littéraires, qui n'attendent plus grand-chose des compétitions, mais dont la faveur auprès des lecteurs ne diminue pas : au premier chef, Erik Orsenna, ancien prix Goncourt, dont Grand Amour (Le Seuil), irrésistible chronique des aventures du « nègre » officiel du locataire de l'Élysée, a été l'un des grands succès de l'automne ; Patrick Modiano, qui continue de produire, comme un pommier ses pommes, ses variations élégantes et mélancoliques sur la quête d'identité et les blessures de la mémoire (Chien de printemps, Le Seuil) ; Pierre Moustiers, qui promène les émois d'un adolescent rousseauiste dans la Provence de la fin de l'Ancien Régime (la Flambée, Albin Michel) ; Patrick Drevet, qui accompagne le Rire de Mandrin (Belfond) et sa révolte contre les pouvoirs dans une équipée picaresque et poétique sur les grands chemins de France ; René-Victor Pilhes, qui s'abandonne à une étonnante fantasmagorie rurale sur les plaisirs du retour à la terre d'un grand financier condamné par la maladie (la Faux, Albin Michel) ; Pierre Magnan, qui conte, sous l'invocation de Giono et de Melville réunis, le fabuleux Périple d'un cachalot (Denoël) ; Elvire de Brissac, qui donne à lire une parabole sans illusions sur l'ambition littéraire (Au diable, Grasset) ; Roger Grenier, qui ausculte avec le stéthoscope de Tchékhov les fêlures de l'humanité ordinaire (la Marche turque, Gallimard) ; Rafael Pividal, qui dans 1994 (Laffont) imagine, avec un humour grinçant, une fiction politique rappelant le chef-d'œuvre d'Orwell ; Jean-Paul Dubois, qui narre avec une irrésistible cocasserie les mésaventures d'un quadragénaire européen coincé entre les exigences saugrenues d'amantes américaines (Prends soin de moi, Laffont) ; et Alphonse Boudard, qui se transforme dans Saint Frédo (Flammarion) en hagiographe inattendu d'un ex-truand réinséré dans la société civile... Parmi les auteurs de deuxièmes ou troisièmes romans, on attendait au tournant la surprenante Amélie Nothomb, dont le Sabotage amoureux (Albin Michel) n'a pas tenu complètement les promesses de Hygiène de l'assassin ; Philippe S. Hadengue, qui reste fidèle dans la Loi du cachalot (Calmann-Lévy) à la lumière glauque des nuits portuaires ; Jean Rouaud, le Goncourt surprise des Champs d'honneur, qui renouvelle dans Des hommes illustres (Minuit) l'exercice de la piété filiale ; Lydie Salvayre, qui tourne en dérision avec la Médaille (Le Seuil) l'univers du travail et le paternalisme patronal.

Parmi les premiers romans marquants on aura retenu : Annam (Arléa) de Christophe Bataille, l'Enfance est un Éden violent (Laffont) de Bernard Blangenois, Journal d'Hannah (La Différence) de Louise L. Lambrichs, Dans la bibliothèque des Boismaures (L'Arpenteur) de Thomas Logsol et Proses du fils d'Yves Charnet (La Table Ronde).

Remontons en amont de l'année. Entre janvier et juin, la production française a été jalonnée par quelques succès retentissants. Succès commerciaux et attendus avec, par exemple, Et toute ma sympathie (Julliard) de Françoise Sagan, Devi, reportage d'Irène Frain sur une héroïne indienne hors la loi (Fayard). Succès médiatiques avec Philippe Sollers (le Secret, Gallimard), Cyril Collard (les Nuits fauves, Flammarion), Jacques Lanzmann (le Dieu des papillons, Lattes), Louis Gardel (Dar Baroud, Le Seuil), Pascal Bruckner (le Divin Enfant, Seuil). Succès inattendus et bienvenus avec Jean-Paul Kaufmann (l'Arche des Kerguelen, Flammarion), Jean Raspail (les Sept Cavaliers, Laffont), Annie Emaux (Journal du dehors, Gallimard), Michel del Castillo (le Crime des pères, Le Seuil), Pascal Quignard (le Nom sur le bout de la langue, POL) et Agustina Izquierdo (l'Amour pur, POL), Frédéric Boyer (Des choses idiotes et douces, POL), Georges Walter (les Pleurs de Babel, Phébus), Daniel Depland (le Serrurier de Zagreb, Grasset).

Bijoux

À retenir, encore et surtout, certains livres qui, pour n'avoir pas obtenu la consécration du grand public, ne témoignent pas moins de qualités d'imagination, d'originalité et de style qui les destinent aux fervents de littérature. On citera parmi ces livres : Paris-Berry, journal de bord d'un écrivain à la campagne, et Felicidad (Gallimard), recueil de nouvelles de Frédéric Berthet, un jeune écrivain aigu et drôle ; le Discours des absents (Gallimard) de Jean-Philippe Arrou-Vignod, une rêverie subtile sur la littérature épistolaire ; l'Orphelin (Gallimard) de Pierre Bergounioux, récit tendu d'une quête d'identité ; les Géraniums (La Différence) de Dominique Rollin, recueil de nouvelles acérées de la romancière belge ; la Conversation des poètes (Gallimard) de Claude Roy, une promenade savante et charmeuse dans les allées de la poésie française ; Je suis un rêve (Fallois) de Pierre Gripari, recueil de contes où se déploie le talent infiniment varié d'un écrivain qui unit l'humour de Marcel Aymé et la profondeur de Kafka ; l'Homme de faïence (Flammarion) d'Yves Amiot, ou une autre vision du roman historique ; Passages de l'Est (Gallimard) de Danièle Sallenave, un voyage initiatique et nostalgique dans les ex-pays de l'Est ; la Boucle (Le Seuil) de Jacques Roubaud, où le mariage incongru et réussi des méthodes combinatoires chères à l'Oulipo et de l'imagination créatrice.