Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Ces coupes ont été masquées par le succès considérable de l'inauguration de l'aile Richelieu du Grand Louvre. Le musée parisien, en gagnant plus de 20 000 m2, a plus que doublé sa surface d'exposition. Le premier week-end a vu plus de 100 000 visiteurs se presser et piétiner dans le froid pour accéder aux nouvelles salles. Au même moment, fâcheuse coïncidence, le Grand Palais fermait ses portes pour cause de réparations urgentes des fondations. Le succès du Centre Pompidou, l'extension de ses collections et du nombre de ses visiteurs risquent de lui valoir la même mésaventure dans un avenir proche. Dans les derniers mois de l'année, un rapport a été remis au ministre par le président du Centre, rapport qui propose, entre autres solutions, une fermeture temporaire pour le réaménagement du bâtiment.

Dernier grand projet présidentiel depuis l'« enterrement » du Centre de conférences international prévu à Paris quai Branly, la Bibliothèque de France, aussi connue sous l'abréviation TGB, a changé officiellement d'appellation le 22 décembre 1993. Elle est devenue Bibliothèque nationale de France en réunissant l'établissement public de la BDF et la Bibliothèque nationale, située rue de Richelieu. Un responsable sera nommé, qui aura sous sa responsabilité l'achèvement des travaux et le transfert à Tolbiac de 12 millions de volumes.

L'exception culturelle

Ces grands travaux prennent une valeur politique et symbolique d'autant plus forte que la fin de l'année a été marquée par les négociations du GATT, où la place de la culture a fait l'objet de longues et violentes discussions. La France, seul pays à avoir conservé sur le Vieux Continent une industrie cinématographique digne de ce nom, réclamait le maintien du système de protection du cinéma et de l'audiovisuel (barrières réglementaires et soutien financier à l'échelle de l'Union européenne). Rappelons que les images hollywoodiennes occupent, sur les grands et les petits écrans européens, plus de 80 % du marché. Mais il s'agissait aussi de faire admettre aux Américains le principe du respect de la culture, principe qui pourra être invoqué par la suite, lors de multiples négociations commerciales et devant des instances d'arbitrage et de justice.

Grâce à une solidarité relayée au niveau politique et administratif – l'Élysée, Matignon, le Quai d'Orsay, la rue de Valois unis dans le même combat –, grâce encore à la combativité d'artistes et d'intellectuels qui n'ont pas craint de défendre publiquement l'idée d'une spécificité européenne, grâce au soutien des pays de l'Union européenne et à celui, plus discret, de nations telles que le Canada, le Mexique ou le Japon, la France a emporté l'adhésion de ses partenaires et, pour finir, l'« exception culturelle » a été admise à Genève, puisque les industries culturelles sont désormais exclues de la négociation de l'Uruguay Round. Certes, rien n'est gagné de manière définitive, et la partie se joue maintenant entre les poids lourds de Hollywood et les chevau-légers européens – c'est-à-dire, en la circonstance, français. Mais elle se joue à armes moins inégales.

Cette lutte s'est trouvée illustrée à l'automne par l'affrontement de deux superproductions exemplaires : d'un côté Jurassic Park, les images de synthèse, Steven Spielberg, les dinosaures, l'utopie scientifique et un scénario simplissime ; de l'autre, Germinal de Claude Berri, le souvenir de Zola, les corons, la condition ouvrière. La surprise de l'année n'est cependant pas là, mais dans le succès inattendu et durable des Visiteurs, comédie de Jean-Marie Poiret, qui, en 44 semaines à Paris, a dépassé les 2,5 millions de spectateurs et plus de 13 millions sur l'ensemble du territoire. Pour l'instant, ce best-seller, dont le succès a gagné l'Europe, a le plus grand mal à trouver un distributeur outre-Atlantique...

Emmanuel de Roux et Philippe Dagen
Journalistes au Monde