Entreprises : le cycle de la baisse

Baisse des prix

Confrontées depuis 1990 à la stagnation de la demande intérieure et à la récession de l'activité économique qui a suivi, les entreprises industrielles des pays européens n'ont pas hésité à vendre leurs produits, ou leurs services, à des prix de plus en plus bas. Elles sont entrées, de la sorte, dans un processus d'accélération de la baisse du prix, caractéristique d'une situation déflationniste. Il s'agit pour elles d'éviter non pas tant une réduction du chiffre d'affaires qu'un brutal déclin de leur activité. À cet effet, elles n'hésitent pas à diminuer leurs capacités de production, face à une demande en retrait. Par exemple, BSN a fermé des sites de produits frais. Dans la même logique, le taux d'utilisation des capacités de production est tombé à 80 % en 1992, soit un niveau inconnu depuis 1975.

Pour beaucoup d'entreprises, cette accélération de la baisse des prix a entraîné un recul du chiffre d'affaires (en volume et en prix). Ce recul a été spectaculaire pour quelques grandes entreprises comme Usinor-Sacilor, Michelin, Aérospatiale ou Peugeot. Pour d'autres firmes, comme celles du secteur agroalimentaire (par exemple Pernod-Ricard, Bongrain, Eridania Beghin-Say, BSN, etc.), la baisse de la demande, comme celle des prix, a tourné autour de 2 % et n'atteint 5 % que dans le pire des cas. Par ailleurs, ces entreprises ayant cherché à réduire leurs charges (surtout au plan de la commercialisation des produits), elles ont pu continuer à dégager des profits, parfois même en hausse. Dans d'autres secteurs (comme l'électronique, l'industrie de biens d'équipement), la stabilité des recettes à l'exportation a maintenu les bénéfices à leur niveau antérieur. Ainsi, Schneider (Merlin Gérin, Télémécanique, Spie) a même vu son bénéfice progresser très légèrement (200 millions contre 193 millions au premier semestre 1993). La SAGEM a connu un bénéfice en forte hausse avec 179 millions de plus pour la même période, soit + 13,4 %. Alcatel-Alsthom (télécoms, constructions électriques, matériel ferroviaire, construction navale) est placée dans une situation identique : elle a dégagé encore un bénéfice de 3,006 milliards au cours du premier semestre 1993 contre 3,115 milliards pour la même période de 1992.

De la récession à la baisse du chiffre d'affaires

Le recul, en volume et en prix, du chiffre d'affaires a été spectaculaire pour quelques grandes entreprises : Usinor-Sacilor a perdu en six mois 2,55 milliards de francs, plus qu'au cours de l'année 1992 ; le chiffre d'affaires a chuté de 17,4 % en raison du fléchissement de la demande et des prix et de la rigidité des coûts. De même, Aérospatiale a vu son chiffre d'affaires reculer de 12 % (à 27 milliards), la perte nette (+ 82 %) atteignant 870 milliards de francs. Quant à Michelin, il a perdu 3,1 milliards de francs de janvier à juin 1993. Certes, dans ce chiffre, il faut tenir compte d'une provision importante (2,6 milliards) et des sommes affectées aux restructurations et suppressions d'emplois ; il subsiste cependant 817 millions de pertes opérationnelles : les usines tournent à perte. Enfin, Peugeot a annoncé, pour le premier semestre, un déficit de 1,1 milliard, pas très gênant pour l'avenir compte tenu d'un matelas financier (fonds propres) de plus de 55 milliards de francs, constitué pendant les années 1980.

Le taux de rentabilité des 66 plus grands groupes industriels (ceux qui ont un chiffre d'affaires de plus de 15 milliards de francs) a légèrement baissé, passant de 2,8 % en 1991 à 2,1 % en 1992. Ces groupes continuent de supprimer des emplois, puisque leurs effectifs ont diminué dans le même temps de 3,5 %, et de réduire leurs investissements (– 13,9 % par rapport à 1992).

Baisse des investissements

En réalité, de tels chiffres, apparemment satisfaisants, cachent un phénomène autrement plus inquiétant, à savoir que les entreprises n'investissent pas autant que dans le passé. Elles épargnent comme jamais auparavant. Le taux d'autofinancement, qui avait péniblement gagné 20 points entre 1981 et 1991, a progressé d'un bond de 25 points en un an pour atteindre 120 % en 1992. Une telle progression signifie que l'investissement et, partant, le recours au crédit bancaire sont sacrifiés. Cette tendance s'est accentuée au cours de l'année 1993. Une enquête de juin 1993 de l'INSEE le confirme : d'un côté, alors que de 1985 à 1990 la modernisation de l'outil industriel a fait progresser l'investissement de + 7,2 % en moyenne par an, le ralentissement de l'activité économique l'a fait reculer de – 2,6 % en 1991, de – 5,6 % en 1992 et 1993 s'annonce pire avec une chute de – 3,6 % dès le premier trimestre ; d'un autre côté, les entreprises françaises ont annoncé qu'elles continuaient à revoir à la baisse leurs programmes d'investissement. Par exemple, l'Air liquide, leader mondial dans un secteur à la croissance régulière, est tout juste parvenu à maintenir en 1993 le niveau des investissements réalisés en 1992, année au cours de laquelle ils avaient été réduits de 5 à 3 milliards. De même, la progression de l'endettement a ralenti de façon très sensible entre le recul de l'investissement productif et la diminution des dépenses liées à la croissance externe ; en effet, ces dernières avaient connu une évolution comparable en passant de 1 à 8 % de la valeur ajoutée entre 1985 et 1990 et en retombant à 5,4 % en 1992. Par ailleurs, la hausse du ratio de l'en-cours de la dette rémunérée à la valeur ajoutée, d'environ 7 points l'an entre 1989 et 1991, a été ramenée à 1,5 point en 1992. Cette contraction n'a pas empêché une nouvelle hausse de la charge des intérêts, passée de 10,1 à 10,6 % de la valeur ajoutée (8,6 % en 1988), eu égard à l'augmentation des taux.