Politique régionale

Chaud et froid

La politique d'aménagement du territoire a été soumise au long de l'année 1992 au régime de la douche écossaise. Tantôt le gouvernement a donné l'impression de vouloir franchement aller de l'avant et d'orienter avec une forte dose de volontarisme les crédits, les investissements, et les emplois vers les zones qui en ont le plus besoin ; tantôt, c'est le sentiment de flottement, de « surplace », voire de recul, qui a prévalu.

C'est donc dans une atmosphère mitigée où le scepticisme l'emporte sur l'optimisme que les milieux politiques et les observateurs s'apprêtaient à commémorer, en février 1993, le 30e anniversaire du décret qui, en 1963, donna naissance à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR). Et, sans aller jusqu'à approuver le très critique député socialiste du Pas-de-Calais, M. Jean-Pierre Kucheida, pour qui « il n'y a plus d'aménagement du territoire depuis 20 ans, les mesures prises d'année en année n'étant que des dispositions de routine », il faut bien reconnaître qu'on est loin des grandes initiatives et travaux d'envergure de la période « gaulliste » (1968-1975) ou des premiers temps du « règne » de M. François Mitterrand (1981-1985).

Le « couple » constitué par Mme Édith Cresson et M. Michel Delebarre a continué, au début de l'année, à répertorier systématiquement les différents services et administrations qui pourraient faire l'objet de ce que le gouvernement de l'époque a, très improprement, appelé des « délocalisations » en banlieue ou en province. Et, fin janvier, un nouveau comité interministériel, s'inscrivant dans la lignée des décisions d'octobre et de novembre 1991, a établi une liste d'organismes susceptibles de déménager.

Si le principe des transferts en province a, d'une manière générale, été approuvé par l'ensemble de la classe politique (sauf en Île-de-France), en revanche, on a vu se constituer un « collectif » contre ces opérations regroupant les agents concernés, souvent encouragés dans leur « lutte » par les présidents ou directeurs de ces organismes eux-mêmes.

Outre cette orientation dont on se demande si, en cas de changement politique à partir de mars 1993 à l'Assemblée nationale, elle ne sera pas remise en cause, on retiendra cinq chapitres essentiels de la politique d'aménagement du territoire : le budget, la structure gouvernementale, l'avenir du monde rural, la préparation des nouveaux contrats de plans État-Régions, le schéma d'aménagement de la Région Île-de-France.

Les régions dix ans après

Depuis leur création en 1972, les budgets des régions ont été multipliés par 11 (contre 3,3 pour l'ensemble des collectivités locales), la fiscalité régionale, par 7,5 et l'endettement, par 5.

Les Régions face au chômage

Ce sont les Régions situées au nord, le long de la façade méditerranéenne et à l'ouest qui sont les plus touchées : environ 13 % dans le Languedoc-Roussillon et le Nord-Pas-de-Calais en 1991. Les moins touchées sont l'Alsace, la Franche-Comté, l'Île-de-France, Rhône-Alpes, et le Limousin (moins de 8 %).

15 000 emplois transférés en province d'ici à 1996

Les décisions prises par le gouvernement en 1991 et 1992 à propos des transferts de services publics hors d'Île-de-France concernent 85 établissements, intéressant 87 villes, et portent sur environ 15 000 emplois. Le calendrier prévu couvre les années 1992 à 1996.

À la fin de l'année 1992, une vingtaine d'opérations, pour près de 2 500 emplois, auront été réalisées ou engagées de façon irréversible. En effet, selon un bilan établi à la mi-novembre 1992, étaient déjà installés dans leurs nouveaux locaux : le Centre d'études et de recherches sur les emplois et les qualifications (CEREQ) à Marseille (120 emplois) ; le service des cartes, titres, statuts et archives du secrétariat d'État aux Anciens Combattants à Caen (70 emplois) ; l'Institut français de l'environnement à Orléans (30 emplois) ; la moitié (c'est-à-dire 100) des emplois que le Centre national d'enseignement à distance doit transférer à Poitiers ; la moitié (20) des agents que l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) va installer à Lorient ; une partie (une dizaine) des postes du Service technique de la navigation maritime à Brest.

La Commission européenne a autorisé à la mi-novembre le gouvernement français à mettre en place dans le bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais et dans la vallée de la Sambre (deux zones particulièrement touchées par le chômage) un système spécifique pour attirer les entreprises nouvelles. Dénommé « zone d'investissement privilégié » (ZIP), ce système permet aux entreprises de bénéficier d'un crédit d'impôt égal à 22 % du montant des investissements qu'elles y auront réalisés.

La Délégation à l'aménagement du territoire (DATAR) a lancé le réseau « Invest in France », qui a pour but de favoriser la venue en France d'investissements étrangers. Elle s'appuie sur l'ensemble de ses bureaux situés en Asie, aux États-Unis et en Scandinavie notamment. Fin octobre, un nouveau bureau de la DATAR a été ouvert à Zurich, qui constitue la seizième antenne de cet organisme dans le monde.

Le Journal officiel du 30 août a publié les 37 décrets qui organisent le statut des fonctionnaires territoriaux travaillant dans les métiers sociaux et médicaux. Ce statut concerne aussi bien les sages-femmes que les coordinatrices de crèche, les biologistes vétérinaires, les assistants socio-éducatifs.

Les moyens financiers

Chaque année, notamment lors de la discussion de la loi de finances ou du collectif budgétaire, on assiste à des passes d'armes véhémentes entre ceux qui estiment que les crédits stagnent et ceux qui, faisant heureusement la distinction entre les différents types de crédits ou leur affectation à des chapitres nouveaux, constatent qu'ils progressent substantiellement. Pour 1993, les crédits (2,64 milliards) sont, objectivement, en hausse sensible : + 23 % par rapport à 1992. M. André Laignel s'est plu à le souligner le 13 novembre devant les députés : « Alors qu'entre 1986 et 1988, lorsque M. Chirac était à Matignon, les crédits ont régressé de 21 %, il a fallu quatre ans (1988-1992) pour réparer les dégâts. Entre 1988 et 1993 les crédits d'intervention ont progressé de plus de 50 %. » Au nom de l'opposition, M. Michel Giraud (RPR), président du conseil régional d'Île-de-France, lui a vertement répondu : « Ce budget joue de l'effet gratuit d'affichage ; le gouvernement ne peut ou ne veut engager les opérations qu'il annonce ; c'est demain – je veux dire en 1994 – qu'il faudra payer. »

Le coût de la délocalisation

En moyenne, la délocalisation d'un fonctionnaire revient de 500 000 à un million de francs.

Les dépenses des Régions

En moyenne, les Régions consacrent 65 % de leur budget à des dépenses d'investissement (l'enseignement, les transports et les communications, le développement économique, rural, et urbain) et 35 % à des frais de fonctionnement, alors que pour les communes le rapport est exactement inverse.

Conduite par M. Gérard Longuet, président (Parti Républicain) du conseil régional, une délégation d'élus de Lorraine a rencontré M. Bérégovoy pour demander au gouvernement de décider des nouveaux transferts de services publics en faveur de l'est de la France. Parmi les 29 demandes présentées par ces élus : la décentralisation en Lorraine des sièges sociaux de Charbonnages de France, d'Usinor-Sacilor et des services centraux de la Sécurité sociale minière.

La structure gouvernementale

Dans le gouvernement de Mme Cresson, qui a duré jusqu'en avril 1992, l'aménagement était confié à un ministre d'État, M. Michel Delebarre, en charge aussi des problèmes de la Ville, qui était assisté d'un secrétaire d'État, M. André Laignel. Lorsque M. Bérégovoy est arrivé à Matignon, M. Laignel, conservant sa fonction, a été rattaché directement au Premier ministre. Mais lorsqu'en septembre M. Jean-Pierre Soisson, nouveau ministre de l'Agriculture, a demandé à être aussi le ministre du Développement rural, M. Laignel s'est trouvé en partie dessaisi de ses attributions et fut « affecté » à la grande nébuleuse de Bercy auprès du ministre de l'Industrie et du Commerce extérieur, M. Dominique Strauss-Kahn. Ces péripéties structurelles n'ont pas qu'un aspect formel. Elles montrent une certaine incohérence dans la politique gouvernementale vis-à-vis de l'aménagement régional. Ce qui a fait dire à un leader de l'opposition : « Cette structure gouvernementale est un puzzle déroutant... C'est l'Empire ottoman de 1919 ! »

L'avenir du monde rural

C'est probablement l'un des problèmes les plus graves, car 85 % de la population vit sur 15 % du territoire. Dans plus de 500 cantons des Ardennes, du Morvan, des Pyrénées, du Massif central, la désertification des campagnes, le vieillissement de la population, la fermeture des services de base (écoles, stations service, épiceries-tabacs) entraînent une spirale du déclin irréversible. Les zones de montagne, qui cumulent les handicaps (et le phénomène n'est pas spécifiquement français), sont les plus menacées encore, comme l'a bien montré le colloque organisé à la mi-novembre à Mende par le Conseil général de la Lozère sur le thème : « Halte aux déserts montagnards d'Europe ! » Mais ni les autorités régionales et locales, ni le gouvernement ne semblent en état de définir une thérapeutique de choc pour enrayer le phénomène, que les conséquences de la réforme de la politique agricole commune (PAC) risquent d'amplifier. Un Comité interministériel avait, en novembre 1991, pris un certain nombre d'orientations, sous forme d'un plan en vingt mesures (aides à l'habitat rural, encouragement à la pluriactivité des agriculteurs, tourisme, désignation de 50 sous-préfets disposant chacun d'une enveloppe de 400 000 francs pour encourager des « microprojets » de développement...). Mais, un an plus tard, ces mesures tardent à entrer en application, ou restent trop timides. Une suggestion a été faite par M. Georges Chavanes, député CDS de Charente : l'exonération de 30 à 50 % de charges sociales pour toute entreprise qui investirait et créerait des emplois dans des communes réputées rurales en perte de vitesse. Le gouvernement a répondu en proposant une prime pour tout investissement créateur d'au moins 20 emplois, ce qui est visiblement trop, car, dans beaucoup de villages, si une entreprise crée 3, 5, voire 10 emplois, c'est déjà beaucoup ! On notera toutefois sur ce chapitre des efforts très importants de la Communauté européenne en faveur des zones rurales les plus fragiles, sous forme de crédits aux infrastructures de transport, d'aides au tourisme et à l'artisanat, d'encouragement à la valorisation des produits agricoles de qualité.

La préparation des contrats de plans État-Régions

Les contrats de plans signés entre l'État et les Régions pour la période 1994-1998 devront être plus « sélectifs » que ceux qui s'achèvent en 1993, a décidé le gouvernement en juillet 1992. La liste des opérations d'équipement à financer conjointement par l'État et les collectivités locales devra s'inscrire dans un programme de développement régional cohérent à long terme. D'autre part, si les conseils régionaux restent l'interlocuteur privilégié de l'État dans la préparation des contrats, il faudra que les conseils généraux et les villes soient plus étroitement associés que par le passé aux travaux préparatoires, dans le but d'obtenir une meilleure harmonisation des projets des uns et des autres. Enfin, les taux de subvention de l'État pour soutenir les projets régionaux seront fortement différenciés selon la richesse de chaque Région.

Selon le ministère de l'Intérieur, c'est dans les Pyrénées-Atlantiques que les conseillers municipaux sont les plus jeunes (43 ans et demi) et à Paris qu'ils sont les plus âgés (52 ans).

Le schéma directeur d'aménagement de l'Île-de-France

Présenté le 5 novembre par le préfet de Région M. Christian Sautter, ce document fixe les grandes orientations d'aménagement de la Région-capitale pour les 25 prochaines années. Il préconise une croissance démographique « maîtrisée », c'est-à-dire 1,5 million d'habitants de plus en 2015 qu'aujourd'hui. Il faudra créer 850 000 emplois pour ramener le taux de chômage à 5 %. La croissance spatiale de la Région se traduira par le renforcement de cinq « centres d'envergure européenne » : Paris, Roissy, Marne-la-Vallée, Saclay-Massy, la Défense.