Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Confrontée à des difficultés économiques croissantes – liées pour partie à sa volonté de rompre totalement avec la Russie –, l'Ukraine a sans doute ressenti la nécessité d'une coopération, même limitée, avec son grand voisin. Boris Eltsine a de son côté contribué à cet infléchissement de l'intransigeance ukrainienne en marquant de manière ostentatoire que l'Ukraine était pour la Russie un égal. Cela ressortait clairement de l'accord donné par la Russie accord signifiant soutien – à l'adoption par l'Ukraine d'une monnaie propre, et de la promesse que l'Ukraine recevrait sa part des biens ex-soviétiques à l'étranger, notamment des immeubles pour y installer ses représentations.

Dès lors, les relations russo-ukrainiennes prenaient un tour nouveau, où l'esprit de coopération succédait aux revendications et griefs. Le sommet de Moscou ne pouvait que consacrer les développements de la CEI. Le progrès principal fut l'accord sur la nécessité, pour que la Communauté ait une existence réelle, de la doter de structures de coordination permanentes, et l'appui que l'Ukraine, jusqu'alors hostile à toute instance permanente, y apporta. Les décisions prises à Moscou sont sans doute plus de principe qu'elles ne mettent en place de structures. La principale décision concernant le fonctionnement concret de la CEI fut de créer – quand et dans quelles conditions précises, cela restait à déterminer – une cour d'arbitrage économique qui aurait pour fonction de régler les contentieux opposant les entreprises des diverses républiques dont les liens et complémentarités, développés durant toute l'histoire soviétique, rendaient les dysfonctionnements infiniment dommageables aux économies républicaines. Une cour d'arbitrage économique pouvait-elle fonctionner si la CEI ne se dotait pas aussi d'une instance capable de coordonner les relations économiques inter-républicaines ? Cette proposition fut soumise au sommet de Moscou par le président Nazarbaiev, qui suggéra que cette instance rassemble les vice-Premiers ministres dans un Conseil dont les réunions et le secrétariat seraient installés à Kiev. Par là, il espérait apaiser les inquiétudes de l'Ukraine, toujours hostile à tout ce qui aurait un caractère permanent. De fait, l'Ukraine, tout en se montrant conciliante sur le projet de cour d'arbitrage, opposa à l'idée d'un Conseil de coordination l'idée d'un Conseil de consultation économique. En dernier ressort, le bilan du sommet de Moscou comportait d'incontestables acquis : un accord, flou, certes, mais existant, sur la Cour et le Conseil économiques ; un accord général sur les problèmes du partage des avoirs soviétiques, de la dette, et sur les conditions de sortie de la zone rouble. De même les chefs d'État de la CEI se sont-ils entendus – ici aussi l'accord était avant tout de principe – sur la nécessité de créer une force commune d'interposition pour faire face aux conflits frontaliers ou ethniques qui se multiplient dans l'espace ex-soviétique. Sans doute fallut-il retirer du programme du sommet la discussion qui devait être consacrée aux armes nucléaires stationnées en Ukraine, pour éviter que, sur ce thème de désaccord permanent, une querelle plus générale s'organisât. Sans doute aussi le président Kravtchouk répéta-t-il à l'issue du sommet que tous les accords s'inscrivaient dans le cadre général de la CEI, qui n'était et ne devait en aucun cas devenir un État ou un sujet de droit international. Sans doute, enfin, alors que les autres chefs d'État apposaient leurs signatures au bas des projets acceptés, le président ukrainien s'en abstenait pour l'essentiel – la Cour –, invoquant la nécessité d'améliorer le document. Pourtant, l'idée de rédiger une charte en bonne et due forme pour la CEI – idée durablement combattue par l'Ukraine – fut, avec son accord cette fois, débattue à Moscou, renvoyée pour examen à la réunion prévue en septembre 1992 à Bichkek et discutée à la réunion des chefs de gouvernement de la CEI qui eut lieu à Moscou en novembre. Certes, l'accord sur le contenu d'une charte acceptable par tous est loin d'être acquis. Deux camps s'opposent. Pour les Centro-Asiatiques, représentés par Nazarbaiev, la charte doit avoir pour fondement le traité de sécurité collective – qui devrait donc être signé par tous – ; pour l'Ukraine, à l'opposé, c'est là une contrainte inacceptable. Le débat est tout aussi rude s'agissant de doter la CEI d'institutions politiques. Faisant le bilan du sommet, Boris Eltsine soulignait que la CEI était en progrès, et qu'en même temps elle tardait à manifester sa vitalité. Jugement contradictoire, qui traduit bien la perplexité qu'inspire l'observation de cette première année d'existence de la CEI. Comment la résumer ? en peser les acquis ? et les échecs ?