Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

L'Ukraine aura réussi à imposer que la Communauté renonce à se doter d'une charte explicitant les règles de vie commune, et de quelque structure permanente que ce soit. Seule concession, l'accord sur un commandement commun des forces armées, étant entendu qu'il s'agissait là d'une formule de transition en attendant que soit réglé le problème des forces armées.

Sommets

Restait à la Communauté, pour manifester son existence, la possibilité de réunir périodiquement chefs d'État, chefs de gouvernement, et des comités de coordination des divers domaines où se posaient les problèmes les plus aigus. La CEI ne s'en est pas privée et certaines réunions ont, en définitive, marqué un progrès de cette instance. Si, dans les premiers mois d'existences de la CEI, les sommets des responsables furent si décevants que certains d'entre eux en conclurent que la Communauté ne survivrait pas à l'année 1992, un tournant se dessinait dès le mois de mai. Réunis à Kiev en mars, les chefs d'État de la CEI ne purent que constater alors les blocages. Les Centro-Asiatiques attachés à sauver une structure communautaire en furent si inquiets qu'ils décidèrent au lendemain du sommet de tenir une réunion entre eux, pour débattre des moyens de sauver la CEI, et à défaut de s'unir dans une structure propre, ouverte vers l'extérieur, c'est-à-dire vers des pays d'Islam. L'alternative « musulmane » qu'ils envisagent dès ce moment – option sérieuse ou argument destiné à faire pression sur ceux qui paralysent tout progrès de la CEI, seul l'avenir le montrera -leur est suggérée par l'activité que déploient dans cette région deux États voisins, la Turquie et l'Iran.

Le sommet de Bichkek en avril 1992 est tout entier consacré à ce débat qui a pour toile de fond un possible éclatement de la CEI, ainsi qu'une rupture entre les espaces musulmans de l'ex-URSS et ceux qui ont tendance à se tourner vers le monde européen. Peut-être est-ce cette hypothèse d'un clivage culturel radical au sein de la CEI avec des incidences intérieures graves pour les deux grands États slaves – la Russie compte plusieurs républiques musulmanes dans ses frontières et l'Ukraine ne peut négliger le peuplement tatar de la Crimée qui a fait du sommet de Bichkek un moment décisif de l'histoire récente de la CEI. Le sommet qui suivit, celui de Tachkent, en mai, porte les traces de l'ébranlement provoqué par les débats de Bichkek. À ce sommet, caractérisé à la fois par des difficultés patentes et une avancée spectaculaire, le problème ressort de l'absence à Tachkent de quatre chefs d'État, dont le plus nécessaire à tout accord sérieux, le président d'Ukraine Kravtchouk. Son refus d'assister au sommet de Tachkent tient sans aucun doute à ses réticences devant le projet que les chefs d'État du Kazakhstan et d'Ouzbékistan Nazarbaiev et Islam Karimov – voulaient faire adopter : un pacte de sécurité collective dont ils avaient défendu l'idée au sommet de Bichkek. Pour eux, le développement de troubles tribaux et religieux dans quelques États voisins – le Tadjikistan dans la CEI et l'Afghanistan hors de la CEI – indiquait bien que la chute du communisme ne pouvait s'opérer dans le vide institutionnel absolu. Contre les désordres et conflits naissants, ils ne pouvaient concevoir de protection plus efficace que la mise en place d'un système de sécurité collective, et la CEI n'était-elle pas le cadre adapté à l'expression de cette exigence de sécurité ? La thèse Nazarbaiev-Karimov l'a emporté au sommet de Tachkent où fut signé le traité de sécurité collective. Ce traité liant pour cinq ans les signataires, renouvelable par accord implicite, fut – et c'est là sa faiblesse principale – signé par six seulement des onze États membres de la CEI ; la Russie, l'Arménie et quatre États d'Asie centrale, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et la Kirghisie. En dépit des réserves des États non signataires, le pacte de sécurité annonçait une évolution dans l'attitude de certains membres de la Communauté, soucieux de consolider l'ensemble par des accords dans des domaines précis, généralement liés à la sécurité extérieure, voire intérieure. Boris Eltsine devait constater dans les semaines qui suivirent le sommet de Tachkent que le progrès accompli alors dépassait le cadre de l'accord. Il soulignait que la logique d'un glissement des États d'Asie centrale vers le monde musulman extérieur avait subi un coup d'arrêt et que les solidarités et intérêts communs que l'histoire avait consacrés en étaient préservés.

Rapprochement russo-ukrainien

Un autre progrès, plus important encore pour la CEI et pour la Russie, fut accompli au sommet de Moscou, le 6 juillet, puisqu'il concernait cette fois avant tout les rapports russo-ukrainiens. Le sommet de Moscou avait été précédé en juin par les entretiens Kravtchouk-Eltsine. De ces entretiens, qui eurent lieu dans la petite ville russe de Dagomys, sortirent à la fois des accords économiques et une atmosphère apaisée sur les grands thèmes de désaccord – nucléaire et naval. Sans doute la Russie et l'Ukraine n'ont-elles pas enterré lors de ce sommet à deux la hache de guerre, mais un ton nouveau a commencé à apparaître dans les rapports des deux pays.