Dans la série des gros bolides, la « trilogie indochinoise » : l'Amant, de Jean-Jacques Annaud, Diên Biên Phu, de Pierre Schoendoerffer, et Indochine, de Régis Warnier, marqua médiatiquement les premiers mois de l'année. Ces mastodontes échouèrent dans leurs tentatives de faire revivre le film à grand spectacle. Annaud trahit le best-seller de Marguerite Duras qu'il adapte en l'illustrant d'une manière (trop) élégante mais sans âme. Schoendoerffer, jadis capable (cf. la 317e Section, 1964) de réaliser un film d'action, arrive mal, dans Diên Biên Phu, à unifier scènes de bataille et réflexion sur le sens de cette guerre perdue. Si Indochine, de Régis Warnier, est le plus réussi des trois films, grâce à l'indéniable sens lyrique qui l'habite, il n'en demeure pas moins vrai que cette œuvre, comme les deux autres, développe une curieuse nostalgie pour la période coloniale.

Réalisés avec un grand retard par rapport aux événements décrits, ces films ne peuvent non plus servir (comme c'était le cas de Voyage au bout de l'enfer, de Michael Cimino, 1978) à laver la mauvaise conscience française, car leur contenu est trop anecdotique et sans réel point de vue.

Une nouvelle minigénération de cinéastes français qui traitent, au quotidien, du mal de vivre et de la difficulté de s'insérer dans la société contemporaine, a un peu éclairci le paysage du septième art national. Ils ont nom : Cédric Kahn (Bar des rails), Michel Bena – décédé depuis – (le Ciel de Paris), Xavier Beauvois (Nord), Cyril Collard (les Nuits fauves). Situé dans la même mouvance par un premier film déjà remarqué, la Vie des morts, Arnaud Desplechin se livre, avec la Sentinelle, à une pertinente réflexion sur les nouveaux rapports Est-Ouest après la chute du communisme..., mais en demeurant à hauteur d'individu et non par une dramatisation spectaculaire de l'intrigue. Sélectionné au dernier festival de Cannes, le film y fut suffisamment remarqué, sinon compris.

Romane Bohringer

Fille de l'acteur Richard Bohringer, Romane, à peine sortie de l'adolescence, et avec seulement deux petits films dans son trousseau (Kamikaze, 1986, et Ragazzi, 1990), s'est imposée, en cette fin d'année 1992, comme une des plus grandes actrices de sa génération (les 18-25 ans).

D'abord avec le personnage de Laura, dans les Nuits fauves, de Cyril Collard, un rôle physique, charnel, contemporain, où la jeune femme retrouve instinctivement une forme d'expressivité totale proche de la méthode de l'Actors Studio. Amoureuse d'un bisexuel séropositif, elle brûle sa vie par les deux bouts et impose une présence peu commune dans le cinéma français.

On la retrouve, peu de temps après, dans la peau de Sophie, une jeune pianiste qui traverse la période noire de l'Occupation en vivant, par procuration, l'existence d'une cantatrice célèbre qu'elle accompagne au piano (l'Accompagnatrice, de Claude Miller). Ici, son jeu est intériorisé : elle arrive à faire passer des sentiments violents (notamment la frustration, l'insatisfaction) par une profondeur d'expression issue essentiellement du regard et du visage.

Situés à l'opposé l'un de l'autre, ces deux rôles marquants, qui ne doivent rien à un profil de starlette, placent d'ores et déjà Romane Bohringer dans le firmament des actrices de caractère (Catherine Deneuve en France, Jodie Foster aux États-Unis) sur lesquelles il faudra compter.

R. B.

Ailleurs, le champ se rétrécit

Le concept de tiers-monde ne concerne plus, en termes d'exploitation commerciale, seulement les pays en voie de développement, mais toute œuvre n'appartenant pas à l'axe franco-américain, Europe comprise. Ainsi, la Palme d'or cannoise, les Meilleures Intentions, de Billie August (sur un scénario d'Ingmar Bergman), ne totalise, au bout de quatre semaines, que 25 000 entrées sur Paris (contre 700 000, en cette même période de mi-décembre, pour la Belle et la Bête des usines Disney). Il faut avouer que les distributeurs ont proposé à leurs publics très peu de nouveaux cinéastes étrangers possédant une authentique personnalité. Le grand événement de cette fin d'année est constitué par le film belge C'est arrivé près de chez vous, de Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, qui traite, dans un faux style direct, des agissements d'un serial killer accompagné d'une équipe de reportage qui filme ses méfaits. C'est le sujet, traité avec humour noir et caméra à l'estomac, qui a séduit les spectateurs, plus que les qualités réellement artistiques de l'œuvre, qui demeure néanmoins forte.