Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Hormis le fait qu'il n'existe aucun dispositif électronique suffisamment petit pour être commandé par cet interrupteur, qu'il faudrait un microscope à effet tunnel pour consulter l'encyclopédie de Richard Feynman, et que l'on ne dispose pas des outils nécessaires pour assembler des micromachines un tant soit peu complexes, chacun s'interroge sur l'impact de l'électronique moléculaire ou des nanotechnologies. Au dire des spécialistes de ces nouveaux domaines, nous vivons la préhistoire des nanosciences. Il est trop tôt pour prévoir l'arrivée des ordinateurs chimiques de poche ou des microsondes automatiques voyageant – comme dans un célèbre film de science-fiction – à l'intérieur du corps humain, mais il est facile d'imaginer le succès futur des nanotechnologies. Si la manipulation d'atomes restera longtemps encore une curiosité de laboratoire, l'électronique moléculaire et la micromécanique devraient donner des dispositifs utilisables dès le début du siècle prochain.

Facteur d'échelle

La principale inconnue tient à ce que les physiciens nomment « facteur d'échelle » : un moteur électrique ordinaire ne fonctionne pas de la même façon qu'un micromoteur ; dans un « nanocircuit » électronique ne circuleront que quelques milliers d'électrons, au lieu des milliards qui circulent dans un transistor actuel. Des effets totalement inattendus sont donc à attendre, et les chercheurs doivent inventer – rien de moins – une nouvelle mécanique et une électronique inédite. Certains étudient de très près les micromoteurs biologiques qui agitent les flagelles des bactéries ou des spermatozoïdes tandis que d'autres analysent les transferts d'électrons au sein des molécules responsables de la photosynthèse.

Il est vrai qu'en matière de miniaturisation, la cellule biologique reste un but sans doute insurpassable : la molécule d'ADN, repliée à l'intérieur du noyau de chaque cellule, stocke sous forme chimique tout ce qu'il faut pour faire un être vivant en général, et un nanotechnologue en particulier. Dans les laboratoires américains, japonais et allemands (un peu moins ailleurs en Europe, la perspective semblant encore très lointaine), on commence à rêver de micro-usines fabriquant des nano-objets. Après l'ère de la technologie triomphante, nous vivrons peut-être celle de la technologie invisible.

Le Congrès américain refuse de financer le projet de « super collisionneur supraconducteur », le plus grand accélérateur de particules du monde (85 km de circonférence). Un coup dur pour la Big Science.

Le Généthon fait la une. Ce laboratoire ultramoderne de biologie moléculaire financé en grande partie par le Téléthon, annonce début septembre avoir trouvé un raccourci vers le décryptage du génome humain. L'équipe dirigée par Jean Dausset, Daniel Cohen et Jean Weissenbach promet une première approche de ce décryptage – une cartographie détaillée – pour 1993.

La fusion froide se réchauffe. Quelques laboratoires, américains et japonais, publient des résultats positifs quant à l'obtention d'une fusion nucléaire par électrolyse de l'eau... sans ressusciter l'engouement médiatique qui avait suivi la première annonce du phénomène en 1989.

Nobel

Après Pierre-Gilles de Gennes, Georges Charpak. Le prix Nobel de physique 1992 s'intéresse moins aux cristaux liquides qu'aux particules élémentaires, mais il est aussi soucieux que son prédécesseur des applications de la recherche. Il est originaire de la même École de physique et de chimie industrielles de Paris. Message du jury Nobel : la recherche n'est jamais aussi fondamentale que lorsqu'elle est appliquée.

Le prix Nobel de chimie 1992, l'Américain Rudolph Marcus, aura attendu une bonne trentaine d'années que ses travaux sur les transferts d'électrons s'avèrent exacts. Ils sont aujourd'hui reconnus comme fondamentaux dans la théorie de la réaction chimique, la photosynthèse et les travaux les plus récents de l'électronique moléculaire.

Fraude

Le biologiste et prix Nobel David Baltimore, président de la Rockefeller University de New York, démissionne de ses fonctions à la suite de la publication d'un article, qu'il avait cosigné, et qui s'est avéré frauduleux. Il avait usé de son pouvoir pour « démissionner » l'étudiante qui avait signalé le fait...

Observatoire français des techniques avancées, Nanotechnologies et micromachines, Masson, 1992.
Scientific American, novembre 1992, « Micron machinations ».

Nicolas Witkowski