Religions : une nouvelle visibilité

L'année 1992 n'a pas été marquée par des événements religieux majeurs aptes à frapper les imaginations. Cependant, un ensemble de faits sont révélateurs de mutations en cours depuis plusieurs années. Celles-ci manifestent, de façon dominante, un renouveau de l'importance de la religion dans le fonctionnement des sociétés actuelles et, corrélativement, une nouvelle visibilité sociale du religieux.

L'humanisme séculier

Les évolutions récentes montrent que le poids social de la religion est en partie conditionné, en divers pays, par la capacité d'un humanisme séculier à s'organiser et à proposer de nouvelles valeurs morales. Cela est notamment sensible dans des pays qui vivaient, il y a peu, sous un régime d'athéisme quasi officiel. En 1992, plusieurs groupements humanistes se reconstituent en Europe du Centre et de l'Est, aidés par leurs homologues ouest-européens, comme le Grand Orient de France. Ce dernier a élu comme grand maître, en septembre, un psychanalyste de 43 ans, Gilbert Abergel, et a participé activement aux cérémonies commémoratives de la mort d'Ernest Renan (1823-1892), un des fondateurs de la science des religions.

Sida

Réaffirmée lors de l'Assemblée plénière des évêques à Lourdes en octobre, la position de l'Église de France sur le sida s'appuie sur trois constats : a) le sida est un fléau et tout doit être mis en œuvre pour le combattre. b) on ne doit jamais risquer de donner la mort et, au nom du « moindre mal », une personne se sachant séropositive doit utiliser, le cas échéant, un préservatif. c) l'Église refuse de cautionner les campagnes de prévention fondées sur le seul préservatif.

L'islam

L'incompréhension qui existe aujourd'hui entre pays occidentaux et pays peuplés en majorité par des musulmans a plutôt augmenté.

La poussée islamiste et sa répression en Algérie, en Tunisie, en Égypte, etc., constituent un phénomène politico-religieux. Ce dernier est sensible même dans un pays laïque (depuis 1923) comme la Turquie (élections municipales en novembre : le parti religieux a doublé ses voix). Partout, la modernisation ne signifie plus une sécularisation à l'occidentale. Les causes principales sont l'exode rural non maîtrisé, l'absence de débouchés pour les jeunes (même diplômés), la crise d'identité des pères de famille, etc. L'islam offre alors un réenracinement symbolique et des réseaux très concrets de solidarité.

Dans ce contexte, le port d'un foulard à l'école par des collégiennes suscite toujours une vive réaction d'une partie de l'opinion publique française. En novembre, le Conseil d'État a cependant estimé contraire aux principes « de neutralité et de laïcité » ainsi qu'à la « liberté d'expression » l'exclusion, pour ce motif, de trois jeunes filles du collège de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Par ailleurs, la construction de nouvelles mosquées témoigne d'une évolution du paysage religieux : celle de Rome, importante par son lieu (à côté du Vatican) et par sa taille, est en voie d'achèvement. La Grande Mosquée de Paris a un nouveau recteur : Dalil Boubakeur, 52 ans, musulman français et modéré, cardiologue à la Pitié-Salpêtrière. Le Conseil de réflexion sur l'islam en France (CORIF) souhaite une réforme des statuts de la Grande Mosquée.

Le judaïsme

En France, on note la coexistence de la continuité et du changement : continuité avec la réélection, en mai, de Jean Kahn, 63 ans, à la tête du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Changement, par contre, en juin, avec l'élection à la tête du Consistoire central de Jean-Pierre Bansard, P-DG du groupe Cible ; cette élection est une nouvelle manifestation de la montée en influence des juifs provenant d'Afrique du Nord au sein du judaïsme français.

La crise économique et identitaire des ex-pays d'Europe de l'Est favorise une remontée de l'antisémitisme, lié à des formes plus générales de racisme et de xénophobie. En Allemagne notamment, des tombes ont été profanées et, dans l'ex-URSS, les juifs servent parfois de boucs émissaires aux difficultés présentes.

Israël

Le parti orthodoxe Shass obtient du gouvernement travailliste que le rabbin Moshe Maiya, vice-ministre de l'Éducation, ait autorité sur les programmes éducatifs des écoles orthodoxes et un droit de regard sur l'enseignement du judaïsme dans les écoles publiques.

Religions orientales

Toujours vivantes au Japon, où shintoïsme et bouddhisme favorisent l'équilibre entre les traditions et la modernité économique et technologique, les religions orientales manifestent un renouveau de vitalité en Mongolie (qui n'est plus communiste depuis 1990-1991) et en Chine. Dans ce dernier pays, à l'étonnement des autorités, l'accroissement des revenus des paysans a été investi non en biens de consommation mais dans la reconstruction de petits temples locaux (les grands temples bénéficiant, eux, de subsides des Chinois de l'extérieur et du gouvernement, recherchant des revenus touristiques). En de nombreux lieux, d'anciens rituels savants comme des pratiques populaires resurgissent, cela en dépit de l'hostilité de la police.

Le protestantisme

La plupart des Églises protestantes sont regroupées dans le Conseil œcuménique des Églises (COE) qui comprend aussi des orthodoxes. En août, le COE a élu un nouveau secrétaire général, le pasteur allemand Konrad Raiser, 54 ans, partisan d'une « théologie contextuelle » adaptée aux cultures. Il devra notamment tenter de réduire les pesanteurs bureaucratiques d'une institution dont le fonctionnement démocratique se traduit souvent par la multiplication des quotas (sexe, âge, régions géographiques, dénominations, etc.).