Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Pour bloquer ce processus dangereux pour la survie du syndicat, Jean-Claude Barbarant, secrétaire du SNI-PEGC, imagine, selon un plan élaboré avec Laurent Fabius depuis 1987, de substituer à la FEN un syndicat unique de la maternelle à l'université, au sein duquel les instituteurs seraient rejoints par leurs collègues socialistes jusqu'alors minoritaires dans les syndicats du second degré. Le prétexte était pédagogique : adapter les structures syndicales à celles du corps unique d'enseignants auxquels la loi d'orientation prétend imposer une formation commune au sein des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). La finalité était politique : pérenniser la mainmise du courant socialiste sur le corps enseignant. Pour crime de fidélité à l'idéal fédéral, Yannick Simbron était démissionné le 10 juin 1991 du secrétariat général de la FEN par le bureau exécutif qui lui substituait, à l'instigation de Jean-Claude Barbarant, l'homme capable d'assumer la rupture, Guy Le Néouannic.

Rupture calculée

La tâche lui est facilitée par Jacques Estienne, auteur d'une « note sur le socialisme » destinée au secrétaire général du SNI-PEGC. Le titre est anodin. Le contenu ne l'est pas puisqu'il précise les étapes de la recomposition de la FEN en un syndicat unique d'enseignants, phagocytant au profit du SNI-PEGC les autres composantes de la Fédération. Le drame se noue le lundi 23 mars 1992 lorsque, par une « surprenante inadvertance », son rédacteur « oublie » ce document sur une table du restaurant « Aux petits oignons », rue de Bellechasse, où il est retrouvé par le personnel qui le remet avec obligeance le mardi 24 à des collègues du... SNES !

C'est la rupture, consommée le 27 avril quand le bureau national de la FEN exclut de ses rangs le SNEP et le SNES, qui contesteront la décision devant les tribunaux. Au congrès de Créteil, le 6 octobre, l'ambiance est plus que rude entre « unitaires », qui refusent la scission, et partisans de la recomposition. La motion confirmant l'exclusion est finalement adoptée par 62,53 % des voix. La FEN ancienne manière a vécu, mais, d'emblée, la future nouvelle FEN est amputée de quelque 120 000 adhérents.

Le prix à payer pour assurer la recomposition du paysage syndical s'avère très lourd. Jean-Claude Barbarant en est convaincu. Mais il est persuadé que le nouveau Syndicat des enseignants (SE), qui prend la suite du SNI-PEGC, pourrait compenser ses pertes en obtenant l'adhésion de nombreux professeurs des lycées et collèges et en puisant dans le « vivier » des IUFM, comme il l'avait affirmé dans une interview au Monde du 4 juin 1992. La création de ces organismes à finalité pédagogique n'aurait-elle pas aussi pour objet de servir les intérêts cachés de la FEN rénovée par les dirigeants de l'ex-SNI-PEGC ? Les débats du congrès de Perpignan, consacrés du 2 au 4 décembre 1992 à la modification de ses statuts, permettent peut-être de lever une partie du voile qui nous cache les motivations profondes de ce séisme syndical.

Pierre Thibault