Journal de l'année Édition 1992 1992Éd. 1992

L'incapacité de s'assouplir et de donner sa place à l'individu dont l'administration a fait preuve jusqu'à présent n'est pas sans conséquence sur le moral de ses agents qui, par un effet pervers, entretiennent la critique à l'encontre du service public dont ils tirent encore leurs ressources ainsi qu'une certaine reconnaissance sociale, alors qu'ils se révèlent souvent incapables – à quelque échelon qu'ils se situent – de porter un jugement clair et cohérent sur leurs propres insuffisances.

Le discours « économiste » tenu par le gouvernement socialiste depuis 1983 et les « privatisations » qui ont marqué la cohabitation ont favorisé, avec l'aide des médias, la création dans l'opinion publique d'un courant anti-État, antipublic, au profit de l'entreprise privée, de l'entreprise individuelle, de la valorisation individuelle du travail, de la reconnaissance sociale reposant sur la valeur marchande de l'activité et non plus sur sa valeur sociale.

Tout en tenant des discours ultralibéraux ou en soutenant des courants politiques favorables à ce système économique, certaines catégories professionnelles (les artisans, les commerçants, les médecins) réclament néanmoins l'intervention de l'État sous forme de subventions (les agriculteurs, les artisans routiers), d'allégements de charges (les artisans), de défiscalisation, de renflouement de caisses d'assurance-vieillesse (les médecins), tout en étant par ailleurs les premières à dénoncer la lourdeur et l'inefficacité de l'administration...

Dans ce contexte difficile, certains suggèrent une solution extrême, inscrite dans une perspective de stricte orthodoxie économique libérale : supprimer le secteur public. C'est le débat auquel on assiste dans l'audiovisuel ou dans certains secteurs industriels où les sociétés publiques sont en position difficile : l'informatique, l'électronique ou la chimie.

Le débat sur les privatisations est alors le corollaire de cette domination de l'économique sur le politique et le social. Un décret du 5 avril 1991 a autorisé l'ouverture du capital des entreprises publiques à des partenaires français ou étrangers, l'État restant actionnaire à hauteur de 51 %. Il s'agit d'un changement radical d'orientation pour le président de la République, qui avait affirmé dans sa Lettre aux Français de 1988 qu'il n'y aurait plus ni privatisation ni nationalisation (le ni-ni). Dans un environnement économique de plus en plus concurrentiel, il apparaissait nécessaire d'offrir aux entreprises une souplesse plus grande dans leur stratégie de partenariat. C'est ainsi que 2,7 % du capital de la société Elf-Aquitaine ont été mis sur le marché en novembre : cette mesure va également concerner certaines banques (notamment le Crédit local de France) et des compagnies d'assurances. Et c'est au nom du même réalisme industriel et financier que l'accord Bull-NEC a finalement pu être signé en octobre. Pour préserver le secteur public, mais en même temps moderniser l'État, il faut donc rendre l'administration plus flexible et plus rationnelle.

Moderniser et délocaliser

Certaines mesures ont été prises pour y parvenir. L'une des plus notables d'entre elles a été la création, par un décret du 6 novembre, d'une Commission du renouveau du service public auprès du Conseil supérieur de la fonction publique. Cette commission, qui devra s'intéresser à la modernisation de l'ensemble des services publics, a surtout pour mission d'examiner « les questions relatives à l'élaboration, à la mise en œuvre et au bilan des actions liées au renouveau du service public, et notamment les actions de rénovation des services publics menées dans le cadre de la politique de la ville ». Elle est composée de 19 membres nommés par le ministre chargé de la Fonction publique : huit d'entre eux représentent l'administration – cinq sont des personnalités choisies en raison de leurs compétences – et onze sont délégués par les organisations syndicales.

Autre mesure importante : la délocalisation en province de certains services des administrations centrales installées à Paris va peut-être permettre de redistribuer des emplois, mais également, en répartissant mieux la fonction publique centrale à travers le territoire, de rapprocher l'administration de ses administrés et de permettre une meilleure compréhension mutuelle. Il s'agit également de rompre avec la logique centraliste préexistante, de dénoncer le jacobinisme de l'administration, ainsi que la surévaluation de l'importance de la capitale.