Ainsi s'aggrave la crise du recrutement en ce début de décennie où se conjuguent les effets de l'arrivée massive de nouveaux lycéens et la mise à la retraite des promotions magistrales des années cinquante. Susciter dans ces conditions 130 000 vocations d'instituteurs et 160 000 de professeurs avant l'an 2000 paraît une gageure. À court terme, l'appel à 40 000 maîtres auxiliaires embauchés sans condition de diplôme ni même de nationalité ne peut être qu'un palliatif. À plus long terme, le ministère croit trouver la solution miracle dans la mise en place des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) le 1er septembre 1991, malgré l'échec patent des établissements dits expérimentaux ouverts à Lille, à Reims et à Grenoble durant l'année scolaire 90-91.

Inquiets et mécontents

Visant à détendre les rapports entre enseignants et enseignés en transformant les premiers en animateurs chargés de guider les seconds dans la construction de leur savoir, la pédagogie des spécialistes des « sciences de l'éducation » ne parvient même pas à apaiser les tensions entre futurs instituteurs et futurs professeurs. La puérilité de certains jeux éducatifs fait sourire les stagiaires, quand elle ne les scandalise pas. La qualité discutable des nombreux intervenants les inquiète. La faible importance accordée au contenu scientifique de l'enseignement les déconcerte, tout en mécontentant les professeurs de l'enseignement supérieur par-delà les clivages politiques et syndicaux.

La réforme de l'enseignement primaire mise en pratique à la même date ne suscite guère l'adhésion des nouveaux professeurs d'école, d'autant plus que la possibilité d'allonger ou de réduire d'un an la durée de l'un des trois cycles mis en place en fonction du niveau des élèves, ne peut qu'accroître l'hétérogénéité des classes et alourdir la tâche des enseignants.

Les méfaits de l'idéologie

Il est vrai que l'hétérogénéité des élèves, conçue comme antidote de l'élitisme traditionnel de l'enseignement français, est la pierre angulaire de la réforme des lycées annoncée par Lionel Jospin dans sa conférence de presse du 25 juin 1991. Brisant le monopole de la série « C » pour répartir les élèves dans trois séries très larges (L : littérature ; ES : économique et social ; STI : sciences et techniques), la réforme regroupe les disciplines scolaires en trois enseignements distincts : celui des « matières communes », celui des « matières à modules » choisies parmi les disciplines dominantes, celui des « matières optionnelles ».

En lui donnant comme finalité de répondre aux « exigences sociales et économiques » du pays, Lionel Jospin assigne à la réforme des lycées une mission socio-économique qui ne peut être parfaite que par la mise en œuvre consécutive d'une réforme également antiélitiste des collèges. En demandant le 13 novembre au corps enseignant de ces derniers de mettre en conformité « leurs pratiques quotidiennes... avec le projet de société » auquel renvoient les finalités du système éducatif, le Conseil national des programmes (CNP) cèle mal le caractère ambigu d'une réforme du premier cycle du second degré dont le manteau pédagogique recouvre pour certains un contenu politique.

En fait, toutes ces réformes s'insèrent dans « le cadre idéologique de la gauche », comme le soulignent les critiques, à peine voilées, du ministre de l'Éducation nationale contre le pragmatisme dont, fait preuve le Premier ministre, Édith Cresson, en constatant le 26 mai que tous les jeunes d'une classe d'âge n'ont pas vocation à suivre des études secondaires et tireraient sans doute davantage de profits d'un apprentissage réalisé au sein des entreprises. Et il en est de même des critiques que formule la FEN contre la décision de Lionel Jospin d'insérer dans la loi de finances rectificative de 1991 un crédit de 300 millions de francs à valoir sur une somme forfaitaire de 1,8 milliard de francs en remplacement des 5 milliards dus depuis 1982 à l'enseignement libre, qui trouve ce prétendu « cadeau » naturellement insuffisant.