Cependant, l'année 1991 a permis de mieux percevoir les faiblesses et les insuffisances de l'opération « grand marché ». Supprimer des barrières ne peut suffire pour « muscler » les entreprises, pour susciter les regroupements et les coopérations transfrontalières, nécessaires pour retrouver une compétitivité bien souvent perdue, notamment face aux Japonais. Une action volontariste est nécessaire pour organiser l'espace communautaire. L'Acte unique, en dépit d'une conception d'ensemble d'inspiration très libérale, prévoyait de telles politiques d'accompagnement. Elles n'ont été entreprises qu'avec beaucoup de timidité.

1991 a été aussi l'année de l'affaire De Havilland, c'est-à-dire du veto, très contestable, opposé, au nom de la concurrence, par la Commission de Bruxelles au rachat de cet avionneur canadien par l'Aérospatiale (France) et Alenia (Italie). Dans le même temps, les efforts, il est vrai tardifs, consentis en matière industrielle par l'exécutif bruxellois échouaient assez piteusement, qu'il s'agisse de créer un pôle électronique communautaire ou encore d'assurer de manière efficace la promotion d'une norme européenne de télévision à haute définition (TVDH). Faute d'une stratégie collective, l'industrie électronique communautaire – semi-conducteurs, électronique grand public, informatique – est mal partie, au point qu'inverser la tendance pourrait se révéler hors de portée.

Malheureusement, à Maastricht, les chefs d'État et de gouvernement des Douze n'ont pas pris les orientations qui auraient pu permettre de corriger les lacunes d'une Communauté trop libérale. Certes, le champ des compétences de la Communauté a été élargi. Dans certains domaines, tel l'environnement, les décisions pourront, plus facilement que dans le passé, être prises à la majorité qualifiée. Mais ce ne sera pas le cas, les Anglais et les Allemands, allergiques à l'intervention des pouvoirs publics, y ont veillé en matière de politique industrielle. Les Français, à juste titre, l'ont regretté.

Comment, par ailleurs, se montrer satisfait de ce qui a été décidé en matière sociale ? La Charte européenne des droits sociaux fondamentaux, adoptée voici deux ans – il est vrai à onze – n'a pas reçu le moindre début d'application pratique en raison de l'hostilité du Royaume-Uni. Ces mêmes onze États membres entendent qu'une réglementation minimale soit arrêtée au niveau européen. La présidence néerlandaise, soucieuse de faciliter la tâche aux Anglais, avait strictement limité les domaines où devrait jouer la majorité qualifiée : conditions de travail, information des travailleurs, égalité de traitement hommes-femmes. Cette modération n'a pas été payée de retour : M. Major n'a pas cru devoir faire le moindre geste et c'est donc à onze, sans la Grande-Bretagne, que ce « socle social minimum » sera progressivement mis en place. Politique monétaire, politique sociale, le gouvernement britannique joue l'Europe à la carte. Personne ne croit qu'il y gagnera en influence.

L'amorce d'un processus

Ce sont encore les Anglais qui ont bataillé pour limiter la portée des « actions communes » susceptibles d'être entreprises en matière de politique étrangère et de sécurité. La règle d'or concernant ces actions restera l'unanimité ; seules des modalités d'application accessoires pourront, à condition que le Conseil en décide ainsi, être adoptées à la majorité qualifiée. « C'est l'amorce d'un processus », fait-on valoir du côté français. Il reste que les Britanniques, réfractaires au concept de politique étrangère commune parce que, encore une fois, il s'agirait, à leurs yeux, d'un regrettable abandon de souveraineté, pourront, s'ils le souhaitent, bloquer toute initiative. L'orientation approuvée en matière de défense, compromis entre ceux qui plaident pour une défense commune (la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne) et ceux qui souhaitent ne rien faire de sérieux en dehors de l'OTAN (le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark), donne au moins la possibilité de préparer l'avenir en renforçant les liens entre la Communauté et l'Union de l'Europe occidentale (UEO), une organisation qui, pour devenir « le bras armé » de l'union politique, devra commencer par être quelque peu revitalisée.