Comme aux États-Unis, l'opinion se déchire à propos de l'avortement. M. Mulroney, le Premier ministre, a fait adopter un projet de loi limitant sa pratique aux seuls cas où la grossesse menacerait la santé physique, morale ou psychologique de la mère. Les militants « pro vie » estiment que le critère, trop vague, permet toutes les interprétations ; en revanche, les féministes voient dans ce texte une intention « cynique », qui « enlève aux femmes le droit de disposer de leur corps ». Par ailleurs, la situation économique s'assombrit : pour la première fois depuis 1982, le PIB canadien a reculé de 0,2 % au printemps. Or, dans ce marasme général, le Québec est le seul à tirer son épingle du jeu : ses investissements ont progressé de 8,6 % au cours de l'année 1989.

Canada : toujours la singularité québécoise...

À la fin de l'hiver, l'ancien Premier ministre, le très médiatique Pierre Elliott Trudeau, a fait paraître un recueil de souvenirs politiques où il réclame un « fédéralisme fort » et fustige le fameux accord du lac Meech, passé en 1987, selon lequel il était reconnu à la Belle Province la qualification de « société distincte » au sein de l'ensemble fédéral canadien. Le livre a fait l'effet d'une petite bombe, alors que le Manitoba et Terre-Neuve refusaient toujours leurs signatures, indispensables pour conférer sa valeur légale à l'accord de 1987. Si celles-ci n'étaient pas apposées avant l'été 1990, le texte devenait caduc. M. Mulroney s'est donc énormément dépensé pour obtenir les précieux paraphes. En vain.

Le 23 juin, c'est le constat d'échec : le Canada anglais refuse, finalement, de reconnaître la spécificité de la province francophone. Deux jours plus tard, à l'occasion de la fête de la Saint-Jean, près de 300 000 Québécois manifestent à Montréal pour réclamer le maximum de liberté pour leur « patrie ». M. Bourassa, le Premier ministre libéral, maintient sa position de principe contre l'indépendance, mais réclame désormais un statut d'autonomie constitutionnelle si large qu'il équivaut à l'indépendance. Il sait que son opinion publique y est désormais acquise, puisque les sondages montrent que 62 % des Québécois la réclament (alors qu'ils l'avaient rejetée à 60 % lors du référendum de 1980).

La question québécoise reste plus que jamais à l'ordre du jour pour les Canadiens anglophones, préoccupés de leur avenir et, surtout, de leur identité si menacée face au puissant voisin américain. Quoi qu'il en soit, anglophones comme francophones voient leur natalité se maintenir à un niveau plutôt bas (1,7) et savent que, dans une dizaine d'années, ils représenteront moins de la moitié de la population canadienne. L'immigration, massive, aura changé les données du problème.

États-Unis : le « Mid-Term »

Le « Mid-Term » est une expression clef du langage politique américain ; elle signifie à la fois la moitié du mandat présidentiel et le moment où la « période de grâce » est définitivement passée.

1990 : année de vérité pour George Bush, qui, pendant 18 mois, avec habileté mais aussi avec un certain effacement, avait su rester populaire. Une décennie s'achève. Pour les Américains, il faut à la fois prendre congé de l'ère Reagan et s'adapter à la nouvelle donne internationale. Les années 80 avaient apporté trois messages : le pays retrouvait sa confiance en soi ; une politique très libérale de dérégulation et de coupes dans les budgets sociaux produisait ses fruits, et l'économie financière, incarnée par les golden boys de Wall Street, s'emballait.

Le temps a passé et, d'une certaine façon, il faut payer la note : l'endettement public atteint les 3 000 milliards de dollars, le déficit du budget fédéral dépasse les 150 milliards, plus de 250 caisses d'épargne ont fait faillite à la suite des mesures de dérégulation de 1982 (qui leur avaient ouvert la voie à des placements boursiers hasardeux), tandis que 32 millions d'Américains (13 % de la population totale) vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Le pays réalise qu'il vit à crédit, et de nombreux intellectuels prophétisent un déclin irréversible du leader mondial face aux concurrents japonais et européens.