Certes, le statut des élus reste encore mal précisé et affaibli par les deux niveaux de représentation populaire, Congrès des députés du peuple et députés au Soviet suprême, seuls élus permanents. Néanmoins, on ne peut contester que les élus de 1989 et de 1990 n'aient − et le statut de l'élu les y aide − la volonté d'élargir leur sphère de responsabilité. Le rôle joué par le Parlement soviétique croît d'autant plus rapidement que nombre de députés proclament leur indépendance à l'égard du PCUS et, par là, renforcent la fonction étatique.

La loi sur la presse, votée par le Parlement en juin, témoigne de cette volonté d'élargir le champ des libertés civiles. Cette loi, qui autorise tout groupe ou individu à fonder une publication, à définir son organisation interne selon ses propres souhaits et interdit au pouvoir politique toute censure préalable, ne suffit évidemment pas à régler tous les problèmes de la presse. Celle-ci est freinée par des questions économiques (le lectorat tend à se réduire, trop préoccupé par les difficultés de la vie quotidienne pour avoir envie de lire les journaux), par des allocations insuffisantes de papier (souvent moyen détourné de censurer), par l'absence d'habitudes d'indépendance des journalistes. Néanmoins, la presse soviétique, qui s'est épanouie dans les années 1986-1990, trouve dans cette loi un puissant encouragement.

La loi sur les associations publiques votée le 9 octobre est avant tout destinée à légaliser les partis politiques, à garantir l'égalité de leurs droits (le gouvernement est ainsi empêché de soutenir le PC, financièrement notamment), à définir la capacité d'action des partis dans les forces armées, le KGB et les instances judiciaires. Même si, sur ce dernier chapitre, la loi est insuffisante, elle a le mérite de légaliser le multipartisme.

Enfin, la loi sur la liberté de conscience, adoptée le 1er octobre par 341 voix contre une opposition et une abstention par le Soviet suprême, donne un statut complet aux religions et aux Églises. Certes, ce sont les organisations religieuses et non les Églises qui deviennent des entités légales − disposition qui a profondément irrité le Patriarcat de Moscou −, mais la possibilité de développer des activités éducatives et caritatives et les limites apportées à la propagation de l'athéisme peuvent donner aux Églises le moyen de progresser rapidement dans des sociétés en quête de systèmes de valeurs étrangers à l'idéologie communiste.

Parlements, partis politiques, presse, Églises, le spectre des instances représentatives de la société s'élargit considérablement. Que ces instances imposent leur autorité et le pouvoir central en sera largement érodé. Nul doute que les germes de démocratisation ne soient puissants en URSS.

Un avenir imprévisible

Face à cette possible évolution du système politique, le pouvoir présidentiel et la démocratisation en marche doivent se heurter et donc conduire à un progrès du système dans un sens ou dans l'autre. La décomposition de l'URSS, nationale et économique, est sans doute un frein à une véritable libéralisation du pays. Décomposition nationale d'abord qui, visible depuis 1988, est maintenant parachevée. La volonté d'indépendance des républiques baltes menace de gagner en Géorgie, en Ukraine, en Moldavie, en Arménie. Partout ailleurs, souveraineté signifie développement de l'intérêt national contre l'intérêt général. Le cas le plus extrême est celui de la Russie, qui refuse à l'URSS le droit de disposer des ressources de son sous-sol (or, pétrole, diamants) et même de son territoire (ce qui met en cause une éventuelle négociation avec le Japon sur les îles prises par l'URSS en 1945). Enfin, la Russie, décidant de réduire de 80 % sa contribution au budget soviétique, accule l'URSS à la banqueroute.

Contre séparatismes et souverainetés, Gorbatchev agite une loi sur la sécession totalement inapplicable, la menace de faire jouer la « loi présidentielle » qui suspend les pouvoirs locaux, les pressions militaires, et propose un peu séduisant « traité d'union » qui n'innove pas beaucoup sur le fond.