Les contradictions de l'empire soviétique

L'année 1990 a été pour le moins ambiguë dès lors qu'on en fait le bilan pour l'URSS. Deux termes extrêmes la caractérisent : une extraordinaire activité du système politique central, une décomposition accélérée de l'espace.

Jamais le système politique n'a été autant transformé qu'en cette année cruciale : création d'un véritable pouvoir présidentiel, évolution du rôle du Parti, ensemble de lois confortant la société civile... L'URSS semble près de rompre avec la philosophie et l'organisation du pouvoir existant depuis 1917.

Premier élément de ce paysage modifié : la présidence et, donc, le pouvoir personnel enfin acceptés. Le 13 mars, Mikhaïl Gorbatchev fait adopter par le Congrès des députés du peuple élu en 1989 un vrai système présidentiel qui parachève la réforme constitutionnelle de 1988. Le président de l'URSS − Gorbatchev −, qui repousse le face-à-face avec le suffrage universel au quinquennat suivant puisque le mandat présidentiel est de cinq ans, récupère tous les pouvoirs du Soviet suprême et de son président. Sans doute le Congrès a-t-il fait reculer Gorbatchev sur deux points : il ne peut proclamer seul l'état d'urgence ou la loi martiale sur l'ensemble du pays, et il n'est pas seul à décider des nominations au sein du Comité de contrôle constitutionnel. Néanmoins, le système présidentiel adopté par 1 817 voix contre 133 et 61 abstentions lui donne un pouvoir quasi total.

Le Congrès est moins enthousiaste à l'élire président : si 1 329 voix lui sont favorables, 495 votes hostiles témoignent de la méfiance que suscite ce développement du pouvoir personnel et de l'indignation provoquée par le refus de Gorbatchev de se soumettre au suffrage universel, alors que l'accord du corps électoral est un élément central du dispositif présidentiel.

Gouverner par ukases

La réforme constitutionnelle de mars réalisée, Gorbatchev ne cesse ensuite de se battre pour un élargissement de ses pouvoirs, déjà considérables. Le 24 septembre, il obtient du Soviet suprême de l'URSS − émanation restreinte du Congrès des députés du peuple et Parlement permanent − le vote d'une loi qui l'autorise à gouverner par ukases (décrets) pendant 500 jours. En dépit d'un vote massif (305 voix pour, 36 contre et 41 abstentions), les députés expriment leurs inquiétudes devant l'autorité théorique et solitaire grandissante du président qui obtient ces pleins pouvoirs en opposant l'inertie de l'exécutif à la désorganisation économique croissante du pays. En décembre, il engage donc un combat similaire pour obtenir une nouvelle marge de manœuvre, destinée cette fois à imposer le passage à une réforme économique radicale.

En face de ce président si puissant − du moins en termes institutionnels –, les institutions − Parti, armée, KGB – connaissent des évolutions discontinues. Le PC tient son XXVIIe Congrès en juillet, avec six mois d'avance sur le calendrier normal. Gorbatchev en a précipité la tenue pour résoudre plusieurs questions urgentes, et d'abord un problème de fond : la place du Parti dans le système politique.

Ayant abandonné son rôle dirigeant et son monopole du pouvoir tels que la Constitution de 1977 les avait fixés, le Parti devait définir son rôle politique et social. En dernier ressort, Gorbatchev, dans son rapport, sauvait l'essentiel : le Parti restait un « parti d'avant-garde », au lieu de devenir un parti parlementaire de type classique ; il devait cesser de s'immiscer dans tous les secteurs d'activités socio-économiques, mais, en même temps, il conservait son organisation afin de pouvoir encore orienter la société vers le socialisme, son but final ; il devait enfin maintenir l'esprit du « centralisme démocratique », épuré des déviations qui avaient déconsidéré ce principe fondamental.

Sur le plan de l'organisation, Gorbatchev imposait la création d'une présidence du Parti − il était élu à ce poste avec une confortable majorité par l'ensemble des 4 700 délégués et non plus, comme dans le système antérieur, par les 412 membres du Comité central, et pouvait alors faire élire secrétaire-général adjoint (un poste créé lors du Congrès) son candidat Vladimir Ivachko contre son éternel adversaire Egor Ligatchev.