Ainsi se trouvaient réunies les conditions d'une explosion sociale. Le 5 janvier, l'armée grognait contre le Plan de revalorisation de la condition militaire. Du 10 janvier au 14 février, le corps hospitalier recourait à la grève pour préserver sa liberté d'installation et ses honoraires dans le privé. La magistrature se contentait de Journées nationales d'action. La première, le 21 juin, était demeurée purement revendicative, mais la dernière, le 30 novembre, avait dégénéré en affrontements avec la police jusqu'au cœur du palais de Justice.

En fait, c'est dans la rue que, depuis quatre mois, se réglaient tous les conflits sociaux. Le 29 août, 200 000 agriculteurs réclamaient ainsi au ministre de l'Agriculture Henri Nallet un plan d'aide aux éleveurs que celui-ci fixa le 31 à 1,2 milliard de francs. Le 28 septembre, ils empêchaient François Mitterrand d'inaugurer le TGV Paris-Bordeaux pour arracher des aides complémentaires. Du 15 octobre au 12 novembre, les lycéens, en manifestant dans toute la France, faisaient reconnaître par le chef de l'État le caractère « acceptable » de leurs revendications sur « la démocratie dans les lycées », à l'heure où les casseurs incendiaient le supermarché de Vaulx-en-Velin (7 octobre), détruisaient les voitures à Vincennes (27 octobre) ou dévastaient le quartier Montparnasse (12 novembre). Enfin, au terme d'une longue série d'attentats indépendantistes, le Conseil des ministres adoptait le 31 un projet de loi octroyant à l'« île de Beauté » un statut particulier en intégrant dans son contenu l'explosive notion de « peuple corse ».

Cette « loi » de la rue a inquiété les électeurs désorientés par l'atmosphère délétère qu'avaient créée les « affaires ». Les dirigeants socialistes ont donc éprouvé la nécessité d'élargir leur assise électorale. Les 29 et 30 septembre, Pierre Mauroy et Lionel Jospin ont lancé les états généraux de la gauche destinés à accueillir les voix communistes supposées disponibles. Mais c'est vers le centre, riche en députés et en électeurs, que le Premier ministre a tenté l'ouverture avec l'appui de Jean-Pierre Soisson, fondateur, le 10 avril, de la France unie, destinée à devenir le deuxième pôle de la majorité. Pour la consolider, Michel Rocard a appelé au gouvernement le CDS Bruno Durieux, le 2 octobre, ce qui a porté de dix à onze (sur quarante-neuf) le nombre des ministres appartenant à ce nouveau mouvement. Pouvait-il ainsi consolider sa propre majorité dont treize députés, à l'instar de leurs collègues du RPR, ont déclaré le 11 décembre « la démocratie en danger » ? Les électeurs changent plus difficilement de camp que les élus. En fait, le chef du gouvernement misait sur un long terme limité par l'échéance législative de 1993. À moins qu'une crise intérieure ou internationale ne vienne entre-temps bouleverser la donne politique. C'est le secret du destin. Qu'il le garde, à l'heure où la guerre et la paix se jouent aux dés au fond du golfe Persique.

L'amnistie

Du 24 avril 1988 au 18 juin 1989, la montée de l'abstentionnisme de 18,9 % à 51,2 % des suffrages exprimés n'avait-elle pas eu pour cause le problème que posait le financement de plus en plus coûteux de la propagande, que celle-ci soit écrite ou audiovisuelle ?

Volontaire, la contribution de généreux bailleurs de fonds était regrettable, car elle plaçait les élus dans un état de relative dépendance à leur égard. Contrainte, c'était pire, car les « donateurs » − souvent des entreprises de travaux publics − se trouvaient engagés dans un processus de surfacturation, voire de fausse facturation dont le montant était réglé, généralement, par les municipalités. Bref, il y avait détournement de l'argent public à des fins privées d'abord politiques, mais, parfois, personnelles. Les mauvaises habitudes se prennent vite.

Sensible au discrédit qui frappait le milieu parlementaire, le gouvernement avait adopté dès le 20 juin 1989 un projet de loi dont est née tardivement la « loi no 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la clarification des activités politiques » (JORF du 16).