D'ailleurs, le calendrier est propice. Après l'année du Bicentenaire de la Révolution, celle du Centenaire du fondateur de la Ve République a suscité le déferlement de publications, d'expositions et d'émissions commémorant la vie et l'œuvre du général de Gaulle. Cette vague biographique n'épargne pas la littérature. Les grands morts de la décennie occupent plus que jamais l'horizon. Les nouveautés qui s'arrachent, ce sont les inédits de Jean-Paul Sartre et les lettres de Simone de Beauvoir. Les meilleurs talents s'emploient à retracer la vie de Marguerite Yourcenar ou d'Henri de Montherlant. Et ces ouvrages séduisent apparemment plus les lecteurs que la production romanesque actuelle.

Jouer la sécurité

Même tendance sur les scènes musicales, où l'on exhume les chefs-d'œuvre de la musique française du xixe siècle. L'Opéra Bastille a ouvert avec une représentation des Troyens de Berlioz et le Corum de Montpellier a choisi le même musicien pour son inauguration. Saint-Étienne consacre une biennale à l'enfant du pays – Massenet – en montant sa Cléopâtre, qui n'avait pas été interprétée depuis sa création à Monte-Carlo en 1914, et la Vierge, un de ses oratorios de jeunesse. Cette réhabilitation d'un musicien réputé « facile » s'accompagne de celles d'Emmanuel Chabrier et de Camille Saint-Saëns, dont le Henry VIII était à l'affiche du festival de Montpellier. Quant à Meyerbeer, ses Huguenots ont campé à l'opéra de Montpellier. Au chapitre des reconstitutions, du reste réussies, il faut encore noter la reprise, au théâtre des Champs-Élysées, du Prélude à l'après-midi d'un faune de Claude Debussy dans la chorégraphie de Nijinsky, avec les décors et les costumes de Bakst, suivi du Sacre du printemps, de Stravinsky, lui aussi dans sa version des Ballets russes, et de Parade, d'Erik Satie, Cocteau et Picasso, tel qu'il avait été monté en 1917.

Musées et galeries ne sont pas en reste et communient dans le culte des valeurs sûres. Crises du marché et du Golfe aidant, la FIAC 1990, qui se déroulait comme d'habitude au Grand Palais, a été marquée par le retour en force des classiques du xxe siècle. On y vendait Picasso, Braque, Léger et Matisse, et les stands habituellement dévolus aux jeunes premiers de la mode prenaient des airs de musées temporaires. Les peintres des années 50 n'étaient pas oubliés, Dubuffet le premier, et les galeries new-yorkaises jouaient la sécurité en proposant à la vente Pollock et de Kooning, plus volontiers que Jean-Michel Basquiat et Keith Haring, déjà relégués au purgatoire. Les expositions de l'été ont pris le même tour. Miro était à la fondation Maeght, Laurens au château de Biron en Dordogne, et Chaissac à l'Isle-sur-la-Sorgue. Apothéose du mouvement : les anciens révoltés de Support/Surface ont fêté leurs cinquante ans au château de Chambord et l'exposition s'intitulait de manière élégiaque : le Bel Âge. Claude Viallat, Jean-Pierre Pincemin, Louis Cane ne surprennent plus personne et leurs étoiles des années 70 sont désormais accrochées dans les galeries de l'avenue Matignon. On ne voit pas poindre les signes annonciateurs d'une nouvelle avant-garde et les élèves des écoles des beaux-arts réclament cours de dessin et séances d'après le modèle nu.

Restauration et non plus création

Simultanément, l'art est devenu une référence bancaire, au même titre que l'once d'or et le baril de pétrole. Toiles impressionnistes et postimpressionnistes encombrent un marché pris de folie et qui fléchit sous le poids d'une offre dont la qualité est de plus en plus inégale. L'un des sommets financiers de la saison parisienne a été la transaction complexe qui a accompagné la vente aux enchères des Noces de Pierrette, de Picasso, au prix de 300 millions de francs. Les musées nationaux ont échangé l'autorisation d'exportation de l'œuvre contre le « don » d'un autre Picasso, la Célestine, qui a ainsi rejoint l'hôtel Salé, bientôt enrichi par la dation Jacqueline Picasso, dont l'exposition au Grand Palais fut un des grands succès de l'automne.