En 1984, les excédents ont contraint les autorités de Bruxelles à prendre leurs premières mesures pour les décourager, telles que l'instauration du système des quotas pour obtenir une limitation de la production laitière, l'octroi de primes à l'arrachage des vignes et le versement de subventions pour la mise en jachère volontaire de terres labourables.

Les agriculteurs, notamment les Français, ont reproché à cette politique de réformes de la Commission européenne d'accélérer l'évolution constatée dans les campagnes. En particulier, la conversion à opérer en faveur d'autres productions leur semble de plus en plus difficile, surtout pour les jeunes producteurs qui se sont endettés pour investir. Mais, plus encore, ce qui est dénoncé et redouté, c'est l'accentuation des inégalités entre les zones agricoles productivistes et les zones marginalisées et en perte de vitesse. À plus long terme, cette évolution débouche sur la déprise, c'est-à-dire sur l'abandon des terres, et, dans des zones plus peuplées, sur l'apparition de poches de diversification de la production agricole dans un tissu rural affaibli et « mité » par un habitat nouveau et dispersé. D'autres, enfin, s'inquiètent des impacts négatifs de l'agriculture intensive sur les milieux naturels (pollution des eaux et des sols, baisse de la diversité génétique, destruction des biotopes), qui condamnent certaines terres à être abandonnées en friches incultes.

En définitive, les agriculteurs français ont estimé que la politique agricole commune ne leur avait pas apporté ce qu'ils étaient en droit d'en attendre. Leur insatisfaction s'est transformée en inquiétude, voire en hostilité quand ils ont pris connaissance des réformes engagées par la Commission européenne pour faire front contre l'offensive américaine lancée dans le cadre des négociations de l'Uruguay Round, qui avaient pourtant pour objet de mettre fin au différend agricole existant entre l'Europe et les États-Unis.

Troisième Round

Ce différend est né de la création même de la CEE et, par conséquent, de la simple mise en œuvre d'une politique agricole commune entre les quelques États européens concernés. Cette politique, à travers la protection qu'elle envisageait pour la plupart des productions agricoles, ne pouvait que heurter les intérêts des États-Unis, le plus puissant exportateur mondial en matière de céréales et aussi de protéines animales. Leurs excédents s'écoulaient principalement en Europe, première zone importatrice. Pour les agriculteurs américains, une réduction des débouchés européens signifiait une baisse de revenus en même temps qu'une perte de devises pour l'économie des États-Unis.

Au fil des années, le différend s'est aggravé sous la pression de plusieurs circonstances comme l'élargissement de la Communauté, qui rétrécissait d'autant les débouchés céréaliers des États-Unis et surtout amoindrissait leurs possibilités d'exportation en franchise de droits des produits de base de l'alimentation animale (gluten-feed de maïs, grains et tourteaux de soja). Assurés de pouvoir compter sur le marché européen, les producteurs de soja ont accru leur production à l'instar des céréaliers des deux côtés de l'Atlantique. Le déséquilibre initial s'est accentué dès lors qu'étaient maintenues les incitations à produire et accrue la rigidité de l'offre à l'exportation. Pour pouvoir écouler leurs excédents, les uns et les autres ont alors essayé d'augmenter leurs soutiens à l'agriculture. Et c'est ce qui a été effectué au cours des années 1980.

Les États-Unis ont tenté plusieurs fois d'amener les Européens à remettre en cause la politique agricole commune au nom du libéralisme. Après l'échec du Kennedy Round (1962-1967) et celui du Tokyo Round (1973-1979), les États-Unis ont repris l'offensive à la fin des années 1980 en raison des difficultés rencontrées par leurs agriculteurs. D'autre part, bien qu'ils demeurent le premier exportateur mondial, ils ne conservaient plus que 11,6 % des marchés en 1987 contre 14,4 % en 1967. Ce recul a été provoqué en partie par les obstacles qu'a rencontrés l'écoulement de leurs produits sur les marchés tiers (notamment en Asie).