Ce silence, cette gêne, ce repli entourent la plus grande cité administrative jamais construite en France. Il faut sans doute l'imputer à sa raison sociale. Les Finances inspirent la crainte. Elles sont l'État dans l'État. Ce que proclame assez son siège, nouvel octroi de l'Est parisien, orgueilleusement avancé jusqu'à la Seine, comme pour mieux faire plier l'échine des milliers d'automobilistes qui passent chaque jour sous le franchissement qui y mène, comme pour mieux guetter, depuis le fleuve, les contrevenants à sa loi.

Ce geste avait valu à Paul Chemetov et à Borja Huidobro de remporter le concours de 1982. Dès cette étape, le projet était défini dans ses grandes lignes et bougea peu, excepté les variations inévitables lors des phases de mise au point. Ce furent sa raison, son essence qui faillirent disparaître lors des tergiversations de la parenthèse 1986-1988. À cette époque, alors que le chantier continuait, les maîtres d'œuvre poursuivaient un édifice qui n'avait plus de nom, un bâtiment innommé. À qui d'autre, à quoi d'autre pourtant le géant aurait-il pu servir ? Plus tard, lorsqu'il serait fini, l'on découvrirait qu'il ne manquait ni de la solennité, ni de la majesté, ni du soin, ni en somme de l'arroi dont devait s'entourer un grand argentier. Il se voulait sublime, comme l'on disait au siècle de la raison. L'État ne pouvait s'y dérober.

L'Opéra bouffe

Un 14 juillet passe par la Bastille. Ce soir de 1989, le peuple fut exclu de la célèbre place, le temps que les grands de ce monde inaugurassent l'Opéra destiné à remplacer le palais de Charles Garnier. Un jury trop fin avait cru reconnaître en 1983, dans le projet anonyme qu'il élut, la patte de l'architecte américain Richard Meier. Il s'était tout bonnement trompé, ce que l'on vit bien à la grimace de Jack Lang lorsqu'il découvrit sous l'œil des caméras le nom d'un architecte canadien, Carlos Ott, totalement inconnu. Les jeux étaient faits, et l'on fit avec lui, malgré la critique architecturale qui ne tarda pas à assimiler son projet à l'éléphant de Gavroche revenu paître sur son ancien territoire. Ces faibles cris furent en fait rapidement couverts par un vacarme plus puissant, celui des trompettes qui résonnèrent à propos de deux scandales, liés à la nature du programme.

Le premier vint de la définition qui en était faite. Pour qu'un opéra fût populaire, il fallait qu'y fussent programmés quantité de spectacles et qu'il disposât de machineries conséquentes, colossales, pour en autoriser la rotation. Avec la cohabitation vint le temps des arbitrages. La crainte s'était fait jour que tout cela ne fût un peu démesuré. On vit un ministre de la Culture, effrayé par les dépenses, suspendre des pans entiers de programme, renoncer à d'autres, avant de changer d'avis. On perdit finalement beaucoup d'argent, puisqu'il avait fallu indemniser les entreprises, mais au moins savait-on pourquoi.

Le second scandale tient à l'opéra comme genre, comme phénomène, et tourne autour des personnalités qui gravitent dans ce monde à part. Il fallait bien, en effet, placer à la tête de cette institution, et accessoirement de ce vaisseau fantôme, des hommes capables de les maîtriser. Ce fut une valse de noms, une ronde de démissions, accompagnées des coups de cymbale de la clameur publique.

On finit par oublier le bâtiment. Lorsque sa masse se découvrit, c'est à peine si elle fut remarquée. Tout juste s'intéressa-t-on, en véritable amateur, à l'acoustique de sa salle. On découvrit celle-ci peu tassée, vertigineuse, avec un léger sursaut d'étonnement. Et l'on se tut. L'Arche avait profité de la mort de son concepteur. Les Finances, de la ténacité de leurs auteurs. L'Opéra-Bastille, placé dans l'œil du cyclone, fut entouré d'un silence qui accompagnait assez convenablement son mutisme architectural.

À Paris, autour de Paris...

Ces projets, qui ont ponctué le parcours des journées de juillet 1989, jalonnent désormais le paysage parisien comme autant de nouveaux monuments. Il y en eut d'autres. Le musée d'Orsay, aménagé par Gae Aulenti. L'Institut du monde arabe, signé par Jean Nouvel et ses complices de l'époque. La Villette, avec sa Cité des sciences d'Adrien Fainsilber, et son parc de Bernard Tschumi. Il y en aura d'autres. La future Bibliothèque de France, à Tolbiac, qui sera confiée au jeune Dominique Perrault, vainqueur à l'été d'un concours international. La rénovation de la galerie du Muséum d'histoire naturelle, cette contemporaine de la tour Eiffel tombée en décrépitude et qui sera transformée en galerie de l'évolution par le tandem Chemetov-Huidobro, à nouveau lauréats d'un autre concours. Un Centre de conférences internationales, qui remplacera, sur le quai Branly, un terrain libéré par le ministère des Affaires sociales, transféré à Bercy, l'actuel centre de l'avenue Kléber...