« Quelle que soit la nature de la fusion, observa Johann Rafelski, de l'université d'Arizona, lors d'une conférence donnée au Collège de France, comment se fait-il que Pons et Fleischmann soient encore en vie ? S'ils ont vraiment obtenu, comme ils le prétendent, quatre fois plus d'énergie qu'ils n'en ont utilisé pour déclencher la réaction, la théorie montre qu'ils ont absorbé en quelques heures une dose mortelle de radiations. » Spécialiste de la fusion nucléaire, Rafelski dévoila aussi l'histoire ignorée de la fusion froide. En 1926, le Berlinois Fritz Paneth, qui cherchait un moyen économique de gonfler les dirigeables (sic), remarqua que le palladium produisait des émanations d'hélium et nota que le phénomène était difficilement reproductible. En février 1927, c'est un Suédois, John Tandberg, directeur de la compagnie Electrolux, qui déposait un brevet décrivant l'élévation de température anormale de certains métaux, dont le palladium, lors de l'électrolyse de l'eau. Il reprit ses travaux après la « découverte » de l'eau lourde en 1932, mais ses carnets de laboratoire ont mystérieusement disparu.

Signe tangible de l'effervescence autour de la fusion froide, le cours du palladium à la Bourse de New York atteignit à la fin de juin le taux record de 184 dollars l'once, contre 110 jusque-là, malgré le sage conseil donné par l'éditorialiste de la revue britannique New Scientist : « N'achetez pas du palladium, investissez dans la littérature scientifique... » La plupart des magazines oscillèrent entre scepticisme et vigilance. Celui qui avait si vivement attaqué Benveniste titra sa couverture de juin : « la fusion froide, plus grande découverte du siècle », mais les mauvaises nouvelles ne tardèrent pas à tomber.

7 000 personnes réunies par l'American Chemical Society écoutèrent les explications, notoirement incomplètes, de Pons et de Fleischmann qui se refusèrent « pour des raisons légales » à dévoiler les conditions exactes de leur expérience. Devant le spectre du dépôt de brevet entravant le progrès de la science, la revue Nature bloqua la publication de leur article. De nombreux laboratoires, parfois même ceux qui avaient un mois plus tôt confirmé la découverte, annoncèrent des résultats négatifs. À la fin de l'été, les expériences très sophistiquées menées à l'université Yale et auprès du réacteur nucléaire de Bugey en France ne laissèrent plus guère de doute. Si elles n'étaient « peut-être pas grossièrement fausses » (dixit John Maddox), les observations de Pons et de Fleischmann pouvaient être expliquées autrement que par une fusion nucléaire. Par le réarrangement du réseau cristallin du palladium, par exemple, ou par la recombinaison du deutérium et de l'oxygène de l'eau après son électrolyse. La fusion froide et la mémoire de l'eau ne relèvent donc pas de la même analyse, mais posent néanmoins les mêmes problèmes : ceux de la publication scientifique (comment s'assurer de sa qualité ?) et de l'évaluation de la recherche (qui doit juger le travail d'un chercheur ?).

La science de ce qui n'est pas de la science

À quoi reconnaît-on une erreur scientifique ? Les hypothèses erronées étant beaucoup plus fréquentes que celles vérifiées par l'expérience, il serait instructif de pouvoir déceler leurs caractéristiques générales. C'est à quoi s'était essayé le physicien et prix Nobel Irving Langmuir (Cité par Scientific American, septembre 1989) lors d'une conférence intitulée : « The science of things that aren't so » en énonçant cinq « symptômes » :
1. L'effet observé est produit par une cause dont l'intensité est à la limite de sensibilité des détecteurs.
2. Les auteurs affirment que la précision de leurs mesures est excellente.
3. Des théories délirantes sont proposées pour contredire l'expérience.
4. Les critiques apportées sont réfutées sur le champ.
5. Le rapport du nombre de convaincus au nombre de sceptiques atteint rapidement 50 %, avant de décroître inexorablement.

Force est de reconnaître que la fusion froide, même s'il s'avère qu'elle est due à un processus inconnu et à ce titre intéressant, s'intègre fort bien au schéma de Langmuir.

Publier ou périr

Si Pons et Fleischmann ont confié leur découverte au Financial Times, c'est qu'aucune revue scientifique n'aurait accepté de publier des résultats aussi stupéfiants. Mais le rôle des revues n'est-il pas précisément de favoriser l'émergence de nouveaux courants de pensée ? Et lorsque Nature, prise à son propre piège, publie un article « incroyable », est-elle habilitée à constituer sa propre commission d'enquête et à se faire justice elle-même ? Autant de questions que pose depuis une vingtaine d'années la prolifération de la littérature scientifique. Inflation serait un mot plus juste, puisque l'on assiste parallèlement à une nette augmentation du nombre d'articles de qualité moyenne, sinon carrément frauduleux.