En multipliant les dettes indolores ou en contractant des emprunts trop élevés, en les additionnant ou en s'abstenant de les gérer avec rigueur, le consommateur commence à ressentir les affres des échéances douloureuses. La situation semble se dénouer avec la possibilité – ou l'obligation – de prendre de nouveaux crédits pour rembourser les anciens ; mais le mouvement risque de devenir perpétuel. Il arrive d'ailleurs souvent que le total des dettes contractées dépasse les possibilités de remboursement calculées sur la totalité des revenus encaissés par l'emprunteur.

Certaines enquêtes ont permis de fixer à 60 % le taux à partir duquel un ménage peut être qualifié de surendetté. En France, 250 000 familles environ se trouveraient ainsi dans l'incapacité de rembourser leurs dettes, souvent à la suite d'une baisse de leurs revenus, consécutive au chômage, à la maladie ou à une rupture comme le divorce. D'une façon générale, ces ménages surendettés sont caractérisés par un niveau d'éducation plus faible que celui de la population endettée de référence. Les exploitants agricoles, les salariés aux revenus modestes (qualifiés ou non) en font également partie.

Plus précisément, un ménage est déclaré insolvable dès que sa situation nette est négative (un stock de dettes supérieur à l'actif), ou en raison d'une capacité d'épargne insuffisante en permanence ; si l'insuffisance n'est que momentanée, il s'agit d'un simple problème d'illiquidité. Deux cas peuvent alors se présenter : l'insolvabilité peut provenir soit d'un accroissement excessif des charges de remboursement par rapport au revenu permanent, soit d'une diminution du revenu permanent par rapport à des charges inchangées.

En tout état de cause, compte tenu des caractéristiques des familles surendettées, les enquêtes montrent que la perte de solvabilité est souvent imputable au ménage qui s'endette au-delà de ce que ses ressources stables lui permettent. Ce surendettement qualifié d'actif tient largement à l'ignorance, à une lecture hâtive des contrats de prêts, à l'imprévoyance et à la myopie du ménage qui surestime ses ressources ou néglige la charge des remboursements. En outre, la facilité avec laquelle les cartes et les crédits sont octroyés expose, plus que tous les autres ménages, ceux qui sont « infériorisés » par la précarité ou la pauvreté de leur situation, par leur sous-éducation et leur manque d'information, à un risque de surendettement.

Mesures de protection

En 1988 et 1989, la multiplication des incidents de paiements en matière de crédits a souligné qu'une réglementation était nécessaire si l'on voulait éviter le surendettement croissant des ménages. Un projet de loi sur le surendettement des ménages, présenté par Mme Véronique Neiertz, a donc été adopté le 6 septembre par le Conseil des ministres. Entre autres dispositions, ce texte prévoit un accord avec les professionnels (banques, établissements de crédit) et la Banque de France – qui en serait gestionnaire –, la mise en place d'un observatoire de l'endettement créé pour mesurer l'évolution de l'endettement des Français sur un échantillon de 10 000 à 15 000 ménages. Par ailleurs, un fichier national des incidents de paiement doit être mis en place auprès de la Banque de France afin de responsabiliser les organismes prêteurs. Enfin, dans le souci de ne pas surcharger les tribunaux, une procédure de conciliation entre débiteurs impécunieux et prêteurs pourra être mise en œuvre par une commission départementale composée de représentants des associations de consommateurs, des organismes de crédit et de l'administration. Mais, à la différence de ce qui se pratique dans certains autres pays (comme le Canada ou les États-Unis), la possibilité pour les ménages de déposer leur bilan après faillite a été exclue pour son laxisme.

Face à l'insistance des fournisseurs professionnels de crédit, il reste à se demander si ces mesures parviendront à protéger réellement les ménages et à les décourager de céder à la tentation permanente des achats d'impulsion. La pression est si forte qu'on peut en douter.

René Segaut
Universitaire, René Segaut est spécialisé dans les questions de crédit et de finances.