À peine réduit en dépit de la baisse du dollar, le déficit extérieur américain contraste avec les excédents toujours élevés au Japon et en Allemagne. Cet écart dans les performances, notamment au niveau des échanges industriels, reflète avant tout la capacité d'un pays à affronter ou non la concurrence étrangère, c'est-à-dire sa compétitivité. L'enjeu n'est rien de moins que la survie de chaque nation en tant que puissance industrielle, qui pousse chaque pays à avancer sous peine de reculer. Ainsi, en 1987, le solde industriel français, devenu pour la première fois négatif, suscite aussitôt un débat sur le déclin ou le retard de la France, comme cela s'était déjà produit au Royaume-Uni, en Europe et aux États-Unis.

Mais la cause centrale des déséquilibres actuels reste probablement l'accumulation des déficits au sein de la première puissance économique mondiale depuis 1979. En sept ans de gouvernement Reagan (1979-1986), le déficit commercial s'est accru de 800 p. 100 et le déficit budgétaire de 300 p. 100 ; or 1987 n'aura pas amorcé une nette amélioration. Les Américains vivent au-dessus de leurs moyens. Leur dette publique et privée atteint 8 000 milliards de dollars. Jamais l'épargne nationale n'a été aussi faible ; aussi, les déficits sont financés par un appel croissant à l'épargne étrangère, notamment japonaise. L'endettement extérieur du pays, devenu débiteur net pour la première fois en 1985, est pratiquement sans limite. En effet, à la différence des pays sous-développés, qui, dans une situation analogue, sont contraints de suivre une cure d'austérité, la place des États-Unis sur l'échiquier mondial les dispense d'agir : le dollar est la principale devise des échanges internationaux et les partenaires ne le peuvent refuser car ils sont trop dépendants du marché américain.

La durée des déséquilibres et la faible volonté manifestée par le président Reagan pour les réduire, particulièrement en période électorale, suscitent l'inquiétude croissante des marchés. En dépit de la hausse des taux d'intérêt – et leurs conséquences déflationnistes sur l'économie mondiale –, pour attirer les capitaux étrangers (et défendre le dollar), la suspicion des créanciers privés oblige les banques centrales à prendre le relais. Ainsi, face à la baisse du dollar, les autorités monétaires étrangères rachètent les dollars, créant ainsi de nouvelles liquidités, qui sont aussitôt replacées par elles en bons du trésor américains. Le cercle vicieux se perpétue avec le risque de voir l'inflation repartir.

Plus profondément, les déséquilibres de l'économie mondiale reflètent la déconnexion croissante entre les transactions financières et la vie économique. À la suite de la libéralisation des marchés financiers et du succès des privatisations, qui drainent un nombre croissant de petits épargnants, les Bourses connaissent partout, entre 1982 et 1987, une période d'euphorie caractérisée par l'envolée des cours et une formidable capitalisation boursière. Ainsi, à Wall Street, l'indice Dow Jones passe de 788 en août 1982 à 2 722, son niveau record, le 25 août 1987. Avec une croissance de plus de 450 p. 100 en cinq ans, la France remporte la première place. Cette flambée s'accompagne d'une frénésie spéculative allant jusqu'à des escroqueries d'une ampleur sans précédent, la recherche du profit facile devenant souvent le seul objectif. Ce sont les particuliers qui essaient de faire fructifier leur épargne, les entreprises qui privilégient les placements financiers plus rémunérateurs aux dépens des investissements et les banques qui multiplient les opérations hors bilan. Mais, surtout, ce sont les nouveaux spécialistes de la finance comme par exemple les raiders participant à la guerre des entreprises dans le cadre des OPA, ou encore les Golden boys, ces jeunes opérateurs qui achètent et vendent à tout instant des titres pour en tirer le maximum de gains. La Bourse est ainsi devenue une économie-casino, où certains joueurs avertis peuvent remporter plusieurs fois leur mise. Ces jeux de la finance sont évoqués dans le Point de l'actualité.