En deux phrases, l'acteur Yves Montand révèle, mieux que les politiques en leurs longs discours, l'enjeu géostratégique à court terme de ce qui ne semblait être, à beaucoup, qu'un scénario de science-fiction : l'installation, par les États-Unis, d'un bouclier de satellites porteurs de lasers ou de faisceaux de particules capables de détruire des missiles assaillants. Ce peut être aussi, pour ce pays, dès lors qu'il estimerait son territoire totalement protégé, la tentation de « découpler » sa défense de celle de l'Europe... Et, face à l'URSS qui, inévitablement, se doterait d'un dispositif analogue, quelle serait la capacité de dissuasion des pays européens et, surtout, de la force de frappe française ? Philippe Faverjon dresse, page 322, le panorama de cette « guerre des étoiles » qui, avant même de mobiliser les scientifiques américains pour un projet dix fois plus grandiose que la conquête de la Lune, a bouleversé tous les jeux de la diplomatie et de la stratégie... C'est, peut-être, une époque – celle de l'équilibre de la terreur – qui a commencé à s'achever en 1985...

Un pays, pourtant, est resté étrangement silencieux dans ces débats, se contentant de regretter, en termes modérés, « une nouvelle course aux armements » : la Chine. Non pas dédain – mais l'heure n'est plus en Chine à la dénonciation de l'hégémonie des deux supergrands. L'URSS va construire sept usines et en rénover dix-sept autres ; des Américains gèrent le dernier grand hôtel construit à Pékin et les pétroliers de Dallas se préparent à forer dans les 136 bassins sédimentaires que la Chine ouvre aux investisseurs étrangers. Pierre Cardin présente sa mode au Maxim's de Pékin, Kronenbourg installe une brasserie dans le Zhejiang et Peugeot va produire 15 000 breaks 504 par an.

Bref, selon un mot d'ordre de Deng Xioaping, pour « quadrupler la valeur globale de la production d'ici l'an 2000 », la Chine s'ouvre à tous les vents. Fussent à ceux d'un certain libéralisme économique, et c'est le Premier ministre lui-même, Zhao Ziyang, qui édicté devant l'Assemblée nationale populaire de nouvelles règles de gestion des entreprises qui semblent sortir d'une business-school américaine. « Il faut envisager un réajustement rationnel des taux de fiscalité des produits, l'adjonction d'une taxe sur les ressources naturelles, la création d'une taxe sur la valeur ajoutée et la simple mise à la disposition de l'entreprise des bénéfices restants. Le rôle régulateur des leviers fiscaux peut mettre en concurrence les entreprises et atténuer la contradiction engendrée par l'irrationalité des prix... »

Pourtant, rien n'est simple en Chine. Si l'on tourne des films disco, si la télévision diffuse des leçons de maquillage, si l'on édite les œuvres complètes de Freud et les romans de Paul-Loup Sulitzer, chantre français de « l'ultra-capitalisme », la vie privée des Chinois reste toujours régie par des lois très contraignantes et rien ne prouve qu'une « Révolution culturelle à l'envers » soit à l'ordre du jour. C'est avec d'infinies nuances que Véronique Niquet-Cabestan dresse le bilan de la nouvelle politique chinoise et analyse jusqu'où sont allés les changements en Chine depuis le jour où le Quotidien du peuple publia l'une de ces petites phrases qui, périodiquement, ouvrent une nouvelle période de l'histoire chinoise : « Le marxisme ne peut résoudre tous les problèmes de notre temps. »

Pourtant, à défaut de résoudre les problèmes politiques et économiques des pays socialistes, le marxisme reste, dans bien des régions du monde, une grande tentation. Comme dans de nombreux pays des rivages du Pacifique, où associé d'abord à divers « mouvements de libération nationale », il bénéficia longtemps de l'aura de la Révolution chinoise ou du prestige de l'armée vietnamienne.

Pacifique, zone des tempêtes ? Au moins zone des paradoxes. Le plus peuplé des pays du monde, la Chine, redoute la puissance militaire du petit Viêt-nam, et le plus riche des États de la région, le Japon, tente de devenir une puissance diplomatique à défaut de pouvoir – encore ? – redevenir une puissance militaire. Sur ses rivages, ou non loin de ses côtes, la Chine regarde se développer ces « perles » du capitalisme que sont Hongkong, Macao, Taiwan. Face à face, Corée du Nord et Corée du Sud, l'une et l'autre « réussites économiques » de systèmes sociaux différents, jouent une version asiatique de la partition de l'Allemagne.