De même en Indonésie, pays musulman à 90 %, des milliers de jeunes manifestent en septembre pour réclamer l'instauration d'un État moins laïque et plus respectueux de la loi islamique, laissant près de 10 morts sur le terrain.

Au-delà des mouvements populaires, des groupes organisés tentent d'imposer, au cœur même du monde arabe, par la violence et la terreur, des changements politiques. Sous le nom générique de Djihad islamique, des « soldats de Dieu, fidèles aux préceptes du Coran », revendiquent des actions très variées, allant du minage de la mer Rouge, qui mobilise plusieurs flottilles occidentales au cours de l'été, aux attentats contre les bâtiments diplomatiques des États-Unis, d'URSS, d'Arabie Saoudite et de Libye à Beyrouth.

Même si les noms et les justifications varient, il s'agit à chaque fois de dénoncer l'occupation du Sud-Liban, l'assassinat du dirigeant charismatique des chiites libanais Moussa Sadr, les réticences de l'Arabie Saoudite à favoriser le pèlerinage des chiites, ou de pourchasser les ennemis de la République islamique d'Iran.

En Libye, un groupe armé proche des Frères musulmans tente, le 8 mai, de prendre d'assaut la caserne Bab Azizia de Tripoli, où réside habituellement le colonel Kadhafi. Ils lui reprochent son non-conformisme, sa volonté de remettre en cause la Tradition (sunna), le calendrier islamique, voire la prohibition de l'alcool, et de justifier par une lecture très personnelle du Coran de profonds bouleversements sociaux. La répression est très dure : pendaisons publiques largement retransmises par la télévision ; des centaines, voire des milliers d'arrestations, notamment dans la région du djebel Nefoussi, de tradition berbérophone. Pourtant, l'avertissement est entendu et conduit le chef de la révolution libyenne à de spectaculaires initiatives diplomatiques.

Au Soudan, en revanche, c'est le chef de l'État lui-même, le maréchal Nemeiry, entouré d'un groupe de jeunes islamistes convaincus, qui tente d'imposer l'application intégrale de la charia (loi islamique) à son pays, pourtant composé en partie de chrétiens et d'animistes. Après l'imposition d'un nouveau Code pénal (réforme des juridictions, pratique des mutilations publiques...), il se heurte à forte résistance, non seulement dans le Sud non musulman entré en rébellion, mais au sein même de son propre Parlement, lorsqu'il tente de modifier la Constitution, en juillet, pour se faire nommer imam (guide).

Intégration ou répression

La généralisation du militantisme islamique entraîne de la part des gouvernants des réponses contradictoires. Pour les uns, autoriser ou tolérer les activités de ces mouvements conduit à les intégrer peu à peu dans la société existante. C'est le cas en Égypte.

À la suite d'un accord avec le vieux parti Wafd, pourtant de tradition laïque, près d'une dizaine de personnalités proches des Frères musulmans peuvent faire leur entrée au Parlement élu le 27 mai. Et, le 30 septembre, la Cour de sûreté de l'État acquitte 174 militants du groupe extrémiste Al Jihad, pourtant accusés du meurtre de 68 policiers !

De même en Tunisie : le président Bourguiba gracie, le 1er août, les 17 dirigeants du Mouvement de la tendance islamique, condamnés en 1981 à des peines de 4 à 11 années de prison : ce mouvement, qui jouit d'une certaine popularité, pourrait, en modérant quelque peu ses slogans, se rapprocher peu à peu du statut de parti autorisé.

Ainsi encore de l'Algérie, où, après le grand rassemblement de militants islamiques à l'enterrement du cheikh Abdellatif Soldani à Kouba, en avril, le procès des intégristes qui avaient tué un jeune étudiant à la Cité universitaire d'Alger se termine par un verdict très modéré.

En revanche, le souverain marocain met en cause à la fois les intégristes « téléguidés par l'Iran », les marxistes-léninistes et les « services secrets sionistes » dans les émeutes de la vie chère qui ont secoué son royaume en janvier. Et il fait arrêter des dirigeants islamistes comme Abdessalam Yacine.

Dans ce contexte, l'image de la jeune Marocaine Nawal al-Moutawakil franchissant victorieusement la ligne d'arrivée du 400 m haies aux JO de Los Angeles constitue un motif de fierté incontestable pour la grande majorité des musulmans, sinon pour les intégristes partisans du tchador.

Alain Chenal