La visite de l'archevêque de Cantorbéry en France, en décembre, sur l'invitation de l'épiscopat catholique, soulève la question plus générale de l'œcuménisme. Où en sont les relations, en Europe et, en particulier, en France, entre catholiques et protestants ? Outre les instances de concertation entre les épiscopats catholiques, d'abord des pays du Marché commun puis à l'échelle de toute l'Europe, de l'est à l'ouest, il existe un lieu organique de rencontre entre toutes les Églises chrétiennes d'Europe. Cette instance œcuménique a tenu sa dernière réunion au bord de l'Adriatique, près de Trente, lieu d'un concile célèbre à l'époque la plus tendue de la Réforme, pour étudier les grands problèmes de l'heure.

Si l'œcuménisme piétine au niveau officiel — nous avons rappelé la déclaration du pape à Genève, et l'assemblée annuelle des Églises baptistes du Canada a adopté un texte en novembre accusant Jean-Paul II de chercher à dominer le monde chrétien —, il ne faut pas négliger les progrès réalisés au niveau théologique et pratique. Catholiques et protestants travaillent ensemble, que ce soit au sein de groupes d'étude, tel le comité mixte mis en place par le COE et l'Église catholique, ou au coude à coude dans les luttes sociales et politiques, comme celle menée contre la torture par l'ACAT (Association des chrétiens pour l'abolition de la torture).

Pour ce qui est de la France, enfin, voici ce que nous a récemment déclaré Mgr Jean Vilnet, président de la conférence épiscopale : « Le mouvement œcuménique peut sembler marquer le pas. Certains disent même qu'il recule. Je ne le crois pas. J'en veux pour preuve le développement d'année en année des questions, même difficiles ou conflictuelles, assumées en commun par le conseil permanent luthéro-réformé et le conseil permanent de l'épiscopat. » Et d'ajouter : « La route est encore longue. Lorsque le pas se ralentit ou tend à s'arrêter, laissons-nous réveiller par l'esprit du Christ. »

Alain Woodrow

Judaïsme

Pour un projet culturel

Le 2 août 1984, Raynald Leykers, apprenti jardinier de 19 ans, frappe mortellement d'un coup de poignard, dans l'appartement qu'elle habite au Cannet, Mme Cerf Barsky, une vieille dame dont les proches parents étaient morts en déportation. Pour cette occasion, Leykers avait revêtu un tricot sur lequel était cousu l'écusson hitlérien. Il reconnaîtra qu'il a assassiné sa victime pour le seul motif qu'il la soupçonnait d'être juive.

Dans la torpeur de l'été, le geste quasi rituel du jeune nazi provoque une indignation que les médias transmettent à travers tout le pays.

Banalisations

Mais l'indignation et l'oubli sont parfaitement caractéristiques du crime. C'est la première fois depuis l'Holocauste qu'on assassine en France par antisémitisme, si l'on exclut les différents attentats contre le restaurant de la rue de Médicis, contre celui de la rue des Rosiers et contre la synagogue de la rue Copernic. Ces attentats-là visaient certes les juifs, mais ils étaient moins provoqués par le racisme que par les avatars du terrorisme international. L'assassinat du Cannet, lui, est un acte véritablement antisémite. L'oubli qui s'ensuit peut se comprendre par le caractère isolé du meurtre et la personnalité d'un déséquilibré dont le geste ne saurait être exemplaire.

Cette conjoncture explique à sa manière la situation du judaïsme en France pendant l'année. Aucun élément vraiment fondamental ne bouleverse son cours plutôt monotone. Les juifs restent conscients cependant qu'ils ne sauraient être à l'abri de gestes surprenants et ils n'excluent point celui qui risque de s'emparer de certains secteurs de l'opinion, même si, pas plus que ne l'a fait la vieille dame du Cannet, ils n'en décèlent avec certitude les signes avant-coureurs... Sur ce plan, la collectivité juive s'inquiète de la montée du Front national et n'accorde pas vraiment foi aux déclarations de son chef, Jean-Marie Le Pen, affirmant qu'il n'est pas antisémite. Il serait difficile, au demeurant, de reconnaître dans la sensibilité juive opposée au Front national la part qui revient à la crainte d'un antisémitisme réel ou non et celle due à l'hostilité naturelle de la collectivité juive à tout extrémisme. La profanation, en novembre, de 66 tombes dans le cimetière juif de Nice témoigne de la fragilité de toutes les certitudes sur les progrès ou la récession de l'antisémitisme.