Malgré d'aussi sombres perspectives, il faut croire qu'un certain redressement a pu être opéré puisque, dès son rapport du 21 juin, la commission des comptes de la Sécurité sociale a indiqué que « l'exercice 1983 devrait marquer le retour, après deux années consécutives de déficit, à l'équilibre des comptes du régime général ». Et dans son second rapport 1983, publié le 8 novembre, la même commission a indiqué que l'année devrait s'achever pour le régime général avec un excédent de 4,1 milliards de F (soit + 5 milliards pour la maladie, – 7,7 milliards pour la vieillesse et + 6,8 milliards pour la famille). Pour 1984, le régime général devrait être très légèrement en équilibre. Comment le gouvernement est-il parvenu à un tel résultat, qui, s'il n'assure pas l'avenir, dégage une tendance à l'amélioration de la situation ?

C'est que, dans le deuxième plan de rigueur présenté par Jacques Delors le 25 mars au lendemain des élections municipales et de la troisième dévaluation du franc, il fut décidé d'instituer, malgré les protestations de plusieurs organisations syndicales, un prélèvement de 1 % sur le revenu imposable, dont le rendement attendu de 11 milliards devait être entièrement affecté à la Caisse nationale d'allocations familiales. À ces 11 milliards s'ajoutèrent un plan d'économies, le 6 juin, de 4 milliards et une réelle inflexion des dépenses hospitalières.

Une occasion manquée

Lors de l'élaboration de ce plan, le gouvernement a failli faire preuve de beaucoup d'audace. Pierre Bérégovoy avait en effet fait examiner l'hypothèse de relever le seuil des actes chirurgicaux au-dessous desquels une participation des assurés serait demandée. De quoi s'agissait-il en clair ? Les malades auraient dû payer 20 % des frais chirurgicaux pour les actes au-dessous du K80. Cette simple éventualité provoqua un beau tollé, notamment du côté du PC, de la CGT et de Force ouvrière. François Mitterrand dut lui-même intervenir et le projet fut remis dans un tiroir. Mais, indéniablement, la tentation existait — et elle existera sans doute de nouveau — de faire supporter une part croissante des dépenses de santé aux assurés pour les « responsabiliser » davantage. Faute de prendre une telle mesure, le gouvernement dut se rabattre sur des dispositions plus classiques comme le report de certaines améliorations de remboursement (comme la lunetterie) et d'une hausse des prix des médicaments, ou encore la diminution de la participation de la Sécurité sociale aux investissements hospitaliers, suivant là une orientation qu'avait déjà voulu explorer Raymond Barre.

L'équilibre de 1983 devrait également s'expliquer par la décélération des dépenses de santé et notamment des dépenses hospitalières (la grève des médecins hospitaliers n'ayant sans doute pas eu sur ce point un effet nul). Ainsi l'année devrait s'achever avec une évolution des dépenses en taux de variation annuelle proche des objectifs assignés par Pierre Bérégovoy, à savoir 13,5 % pour les dépenses de santé et 14 % pour les dépenses hospitalières. Mais cette moindre croissance a un coût qui risque de peser gravement en 1984 : c'est la dégradation sérieuse de la trésorerie des hôpitaux. Situation d'autant plus préoccupante que les hôpitaux ne se voient plus accorder systématiquement en fin d'année des rallonges sous forme de budgets supplémentaires.

L'Arlésienne

Alors qu'en 1984 le nouveau système du budget global doit être mis en œuvre dans les hôpitaux, la politique du gouvernement pour venir à bout des déficits de la Sécurité sociale est-elle définie au coup par coup ou sous-tend-elle un projet ? Le prélèvement de 1 % — reconduit pour 1984, en même temps qu'une majoration d'un point de la cotisation vieillesse de l'ensemble des actifs — pouvait être présenté comme l'amorce d'une réforme du financement de la Sécurité sociale. Une telle réforme avait déjà été promise par Valéry Giscard d'Estaing puis par François Mitterrand. Mais elle continue à faire figure d'Arlésienne. Pierre Mauroy avait lancé l'idée d'une fiscalisation des cotisations aux allocations familiales (versées par les seuls employeurs) mais le projet semble avoir été mis en veilleuse. À l'origine, l'instauration du 1 % n'était déjà pas présentée comme exceptionnelle. Ce prélèvement, disait-on, devait alimenter une nouvelle institution : le « fonds de péréquation des régimes de Sécurité sociale » (salariés, agriculteurs, commerçants et artisans), ce fonds ayant alors la possibilité de réguler les recettes et les dépenses sociales. Le schéma a fait long feu puisque le 1 % a été versé aux caisses d'allocations familiales, mais il pourrait resurgir puisque le Premier ministre songe à proposer pour la loi de finances 1985 la création d'un fonds social qui regrouperait tout ce que l'État apporte à la Sécurité sociale.

Livre blanc

Pourtant, en 1983, des pas ont été faits dans la voie de la recherche d'une véritable réforme du financement avec la publication en juin du Livre blanc sur la protection sociale et le débat à l'Assemblée nationale qui l'a suivie. Ce document dresse un constat de la situation d'une protection sociale qui subit les contrecoups de la crise et du chômage tout en ayant joué sur le plan du climat social un rôle d'amortisseur ; il évoque sans trancher vraiment quatre voies de réformes. S'il semble juger inévitable, alors que les dépenses sociales progressent plus vite que le produit intérieur brut, de faire face à une telle croissance par un jumelage de l'augmentation des recettes et du ralentissement des dépenses, il privilégie deux réformes possibles. Il envisage ainsi de moduler les cotisations en fonction de la valeur ajoutée des entreprises pour alléger la charge assise sur les salaires. Mais il propose surtout d'instituer « un prélèvement exceptionnel qui serait acquitté par les ménages sur la totalité de leurs revenus, que ceux-ci aient une origine professionnelle ou non ». Le 1 % apparaît donc bien dans cette perspective comme une amorce de réforme...