Dans la majorité, soucieuse de ne pas effaroucher son propre électorat avant les élections municipales, c'est l'hallali sur le syndicaliste, prié de ne pas se préoccuper d'autre chose que de son cahier de revendications. Le Premier ministre assure qu'il n'a caché dans ses tiroirs aucun plan d'austérité pour l'après-élections. Henri Krasucki s'entretenant à son tour avec François Mitterrand affirme que « rien n'annonce un nouveau plan de rigueur ». Quelques semaines après qu'André Bergeron eut révélé que Michel Rocard, alors ministre du Plan, l'avait entretenu d'un projet de pacte national par lequel les syndicats s'engageraient à accepter une baisse du pouvoir d'achat, une gigantesque partie de cache-cache autour de la rigueur s'engage.

Cette partie prendra fin avec le verdict des élections municipales. Outre son revers électoral, la majorité doit en effet faire face à une nouvelle dévaluation du franc. Pierre Bérégovoy se voit confié (le ministère du Travail disparaissant) un superministère des Affaires sociales, mais le gouvernement annonce aussitôt, le 25 mars, un deuxième plan de rigueur, plus draconien que le premier, avec, notamment, l'institution d'un prélèvement social de 1 %. Jusqu'à l'été et avant d'entrer dans la troisième phase de l'année sociale, celle de la préparation des élections à la Sécurité sociale, les syndicats vont batailler — surtout verbalement — autour de la rigueur.

Trop, c'est trop

Aucune organisation syndicale n'a encore pardonné au gouvernement le péché originel de ce deuxième plan : l'absence totale de concertation. Mais elles n'ont pas adopté la même position face aux mesures elles-mêmes. La CGT exprime rapidement son « désaccord » avec une partie du dispositif. Voulant apparaître comme une force de proposition, elle suggère des corrections au plan pour frapper davantage les grandes fortunes et relancer la « production française ». La CFDT va se trouver un peu piégée, ayant elle-même demandé au gouvernement de s'engager plus à fond dans la voie de la rigueur. Il manque, pour elle, un volet social au plan Delors : « La rigueur sans projet social a le goût amer de l'austérité. »

L'austérité : voilà l'ennemie pour Force ouvrière, qui développera l'idée que la politique du gouvernement est « à l'image de celle de Mme Thatcher », comprimant le pouvoir d'achat et augmentant le chômage. Le secrétaire général de FO s'en ira répétant que décidément « le gouvernement va trop loin ».

La CFTC et la CGC axeront leurs critiques sur le manque de crédibilité de la politique gouvernementale. Pour Jean Bornard, le président de la centrale chrétienne, le risque le plus grave est celui de la récession. Selon la Confédération française de l'encadrement, qui après les élections municipales demandait le changement dans le changement, « pour que les Français acceptent des sacrifices, encore faut-il qu'on leur présente un projet économique et social auquel ils puissent adhérer », ce qui n'est pas le cas. Les positions de Jean Menu et Paul Marchelli connaîtront cependant quelques évolutions. Après avoir critiqué le plan Delors et annoncé fin avril une grève nationale de 24 h de l'encadrement pour le 3 octobre, elle estime fin mai que tout doit être mis en œuvre pour la réussite du dispositif de rigueur. À l'instigation de Paul Marchelli, elle lance début juin « l'appel de la dernière chance », demandant à tous les syndicats d'observer « une trêve sociale de six mois pour remettre la France au travail ». Ignorée par le gouvernement, rejetée par les autres confédérations, la « trêve » sera rompue le 1er juillet ; renonçant à sa grève nationale, la CGC décide de manifester les 3 et 5 octobre à Paris et en province.

Une marge de manœuvre étroite

L'accentuation de la rigueur a rendu les relations entre le gouvernement et les organisations syndicales plus tendues. Mais, si l'on excepte la CGC, qui a progressivement renoué avec une démarche plus oppositionnelle, aucun choc frontal ne s'est produit entre le pouvoir et les centrales. Celles-ci sont apparues souvent quelque peu coincées entre leur volonté de ne pas entraver les chances d'un redressement économique — et celle, pour certains, de ne pas se heurter à un gouvernement de gauche — et leur désir de ne pas se couper d'une base mécontente ou désarçonnée. On a ainsi vu la CGT lancer des actions dans les branches professionnelles, en visant surtout le patronat, FO organiser le 18 mai une grève nationale d'une heure, la CFDT décider d'une journée nationale d'action sur l'emploi le 26 mai et la CFTC mener une semaine d'action à la fin mai. Dans tous les cas toutefois, la mobilisation est demeurée assez limitée.