La presse exagère l'importance de ces rodéos. Deux photographes ont été accusés d'avoir payé des jeunes pour faire brûler une voiture devant leurs objectifs. Cet intérêt des médias contribue sans doute à entretenir le phénomène : dans ces cités de l'ennui, l'article du quotidien régional ou le reportage à la télévision sont une reconnaissance de votre propre misère. « On fait cinq minutes sur une voiture qui brûle et pas une seule sur nos actions culturelles depuis des années », constate un éducateur de Vénissieux.

Éducation

Ces quartiers sont souvent suréquipés en éducateurs. Leur travail donne peu de résultat sur les durs, cette fameuse minorité que des comités d'auto-défense plus ou moins « manipulés par l'extrême droite », selon le maire de Villeurbanne, Charles Hernu, aimeraient bien faire taire à coups de fusil.

Mais, bien souvent, ces éducateurs ont à faire à des jeunes qui ont l'impression d'être rejetés par leur culture d'origine comme par leur culture d'accueil ; leurs parents, eux-mêmes déracinés, ne les comprennent pas. Avec en plus, pour ces jeunes de la deuxième génération comme pour d'autres, l'échec scolaire, la sous-qualification, l'ennui des cités surpeuplées et le chômage.

Le massacre d'Auriol

Le drame s'est déroulé comme un classique roman policier ; d'abord, une énigme, puis des morts, puis une minutieuse enquête ponctuée de coups de projecteur laissant dans l'ombre de nombreuses inconnues, et, pour finir, un point d'interrogation : pourquoi et sur les ordres de qui les tueurs ont-ils agi ?

Un maçon se rend, ce dimanche 19 juillet 1981, à la bastide de la Douronne qu'il est chargé de retaper. C'est une belle maison provençale perchée sur les hauteurs d'Auriol, dans les Bouches-du-Rhône. Elle appartient à Jacques Massié, inspecteur de police stagiaire à Marseille, qui y habite avec sa femme, son fils et ses beaux-parents. Le maçon remarque de la fumée qui s'échappe par les fenêtres. Intrigué, il entre. Personne à l'intérieur, mais une pièce saccagée : des meubles à moitié consumés fument, des objets brisés et des fragments de corde jonchent le sol. Il y a aussi des traces de sang.

Survient Marina, la sœur de Jacques Massié, qui avait rendez-vous pour déjeuner. Convaincue qu'un drame vient de se dérouler, elle alerte le SRPJ de Marseille. L'enquête démarre en flèche. Grâce à des indices recueillis sur place et à des indications fournies par des amis de Jacques Massié, dès le lendemain quatre suspects sont interpellés :

Jean-Joseph Maria, 50 ans, responsable d'une entreprise de peinture ;

Lionel-Marie Collard, 31 ans, ancien légionnaire devenu ouvrier qualifié chez Chambourcy ;

Paul Sinibaldi, 28 ans, chauffeur de taxi en chômage ;

Jean-Bruno Finochietti, 31 ans, instituteur.

SAC

Un détail frappe tout de suite les enquêteurs : tous les quatre ainsi que Jacques Massié sont membres d'une même organisation, le SAC.

À l'origine simple service d'ordre du RPF — de 1947 à 1950 —, le SAC va connaître un renouveau en 1958 avec le retour au pouvoir du général de Gaulle. Désormais, il n'assure plus seulement des missions de service d'ordre de manifestations politiques, mais se mêle directement à la vie politique. C'est l'époque de la guerre d'Algérie et le SAC participe activement à la lutte contre le FLN, puis contre l'OAS, fidèle en cela à ses attaches gaulliennes.

Mais le SAC ne compte pas dans ses rangs que des purs et durs ; au point qu'en 1969 Georges Pompidou décide l'épuration du mouvement. Celle-ci est sans doute trop légère puisqu'au cours des années suivantes le SAC sera mêlé à nombre d'affaires sordides : trafics d'influence, chantages, expéditions racistes, attaques à main armée contre des militants de gauche. Dans son livre : B. comme barbouzes, un ancien du SAC, Dominique Calzi-Chairoff, dresse un bilan impressionnant des activités souterraines de l'organisation qu'il a quittée.

Les années passent et le nom du SAC continue d'émailler la chronique politico-judiciaire. Au point que plusieurs hommes politiques d'obédiences très diverses souhaiteront sa dissolution.

Victimes

Revenons à Auriol. Dès le lundi 20 juillet, au lendemain du drame, Finochietti avoue : ils étaient cinq ; l'objectif du commando était de « neutraliser » Jacques Massié et de récupérer des documents compromettants. Mais, lorsqu'ils arrivent, Massié n'est pas là. Il n'y a que Marie-Dominique Massié, 34 ans, son épouse, leur fils de 8 ans, Alexandre, ses beaux-parents, M. et Mme Jacquemes ; Georges Ferrarini, fiancé de Marina, la sœur de Jacques Massié. Tous sont rapidement ligotés sur des chaises et puis... le massacre va se dérouler. Là les témoignages des assassins divergent sur certains points. On sait seulement qu'il n'y aura pas de coup de feu et que les victimes seront tuées par des moyens silencieux, à coups de barres de fer, de couteau et par strangulation. Quand Jacques Massié arrive à son tour à la maison, tard dans la nuit, il tente de s'enfuir, mais il est abattu comme les autres.