Un certain accord avait paru s'établir pendant quelques années sur l'existence de deux groupes, les australopithèques graciles et les australopithèques robustes, les premiers différant surtout des seconds par une taille plus petite, une structure plus frêle, des dents broyeuses (prémolaires et molaires) moins puissantes. Puis les découvertes de l'Afar avaient conduit, en 1978, les paléontologues Coppens, White et Johanson à distinguer un troisième groupe, représenté par les ossements de la célèbre Lucie, lesquels, plus anciens, paraissaient aussi moins différenciés que ceux des graciles (Journal de l'année, 1974-75).

Yves Coppens, au colloque de 1980, a proposé, d'une part, un dédoublement des robustes, et, d'autre part, de créer un groupe particulier pour le fossile de Swartkrans, en Afrique du Sud. On aurait donc cinq espèces d'australopithèques. Cependant, d'autres chercheurs s'en tiennent à leurs deux groupes. D'autres en admettent trois. Quelques-uns persistent à affirmer qu'il n'a existé qu'un groupe, les différences étant celles que l'on trouve chez bien des primates entre femelles (graciles) et mâles (robustes)... Enfin, certains demeurent sceptiques devant toutes ces tentatives de classement. Pour eux, il faut voir là une population et l'étudier comme telle, pour en donner une définition statistique ou plusieurs.

Les divergences sur les fossiles antérieurs sont peut-être encore plus prononcées. Ces fossiles — datant d'il y a 7 à 25 millions d'années — sont presque exclusivement des fragments de mâchoires et des dents. Certains chercheurs les classent tous parmi les grands singes (pongidés), d'autres y distinguent une tendance hominoïde, d'après la forme des dents et la tendance de l'arcade dentaire à s'arrondir en forme de parabole.

Ces fossiles ont été trouvés aujourd'hui dans le sud de l'Eurasie, en Espagne, Hongrie, Grèce, Turquie, Inde (monts Siwalik), Chine (Yunnan), ainsi qu'au Kenya. La tendance dominante est d'y voir deux formes principales, l'une proche des grands singes, l'autre différente : c'est le ramapithèque, déjà célèbre. Mais le paléontologue français Louis de Bonis a suggéré (comme on l'a fait pour les fossiles plus récents) que cette distinction venait seulement d'un dimorphisme sexuel. Selon l'Américain David Pilbeam, qui dirige les recherches sur le plateau de Potwar (Pakistan) — où 350 sites fossilifères ont été repérés et 20 000 pièces recueillies —, les restes se répartissent en quatre types : les deux déjà mentionnés, un troisième différent, mais difficile à classer, et le gigantopithèque, le plus grand de tous les primates ayant jamais existé.

Chromosomes

Les fondements mêmes des opinions paléontologiques sur les origines humaines se trouvent mis en question par certains travaux récents en biologie.

La contestation vient surtout de l'observation des chromosomes, qui a fait de grands progrès depuis une dizaine d'années. En comparant l'ensemble des chromosomes (ou caryotype) de différents groupes zoologiques, on arrive à établir, par le principe des différences minimales (ou principe de parcimonie), des parentés. D'où la construction d'arbres généalogiques, ou plus exactement phylogénétiques. Il est possible de retrouver les transformations qui ont dû se produire dans tels ou tels chromosomes pour donner les caryotypes actuels. On peut alors reconstituer des caryotypes ancestraux. Bernard Dutrillaux et son équipe ont pu ainsi remonter, d'un embranchement à l'autre, jusqu'à l'ancêtre commun aux primates, aux rongeurs, aux lagomorphes et aux carnivores.

Du côté de l'homme, ces nouveaux arbres phylogénétiques permettent surtout d'établir qu'un long parcours commun, marqué par les mêmes événements chromosomiques, a été celui des ancêtres de certains grands singes, les gorilles et chimpanzés, et celui des hommes, la séparation étant assez récente. Ce qui contredit l'existence, jusqu'ici admise, de deux lignées distinctes, celle des grands singes pongidés et celle des hominidés. Ici, le désaccord est total. Les biologistes travaillant sur l'évolution des caryotypes sont formels. Les paléontologues ne le semblent pas moins. Faudra-t-il repenser en profondeur nos origines ?

L'archéologie devient expérimentale

Retrouver par essais, erreurs et comparaisons les façons de faire des hommes anciens : la mode a gagné la France. Même négatifs, les résultats peuvent présenter un intérêt. Ainsi pour les reconstitutions de chars d'après des peintures rupestres sahariennes : on s'est aperçu, en mars 1981, que ces chars ne pouvaient pas rouler. La taille expérimentale du silex, déjà ancienne, a permis de savoir comment devaient être faits de nombreux types d'outils préhistoriques. Au début de 1981, Jacques Tixier et Béatrix Midant-Reynes annonçaient qu'ils avaient réussi à fabriquer un poignard de silex du néolithique égyptien — un des objets les plus extraordinaires de toute la préhistoire.

Reproductions

Mais les expériences ont, en général, montré que les outils de silex se fabriquaient très rapidement. Ils ont pu être utilisés notamment par François Poplin pour dépecer des animaux ou par Danielle Stordeur pour fabriquer les belles aiguilles à chas, en os, de la civilisation magdalénienne ; ce qui a permis de retrouver les différentes techniques utilisées par les Magdaléniens pour percer le chas de l'aiguille. On peut s'essayer aussi, comme Lucette Mons, à reproduire des gravures sur os de la même époque. Pour sa part, Michel Lorblanchet a reproduit les peintures noires du grand panneau de la grotte de Pech-Merle, dans le Lot. Il avait auparavant minutieusement étudié les vingt-cinq dessins de cette Frise noire : tous les gestes du dessinateur préhistorique avaient été retrouvés et ses coups de crayon dénombrés pour chacune des figures.