Bourse

Sous les feux croisés de l'or et du pétrole

La double perspective du réinvestissement au moins partiel des dividendes annuels et de la nouvelle vague d'achats découlant de la loi Monory a un effet mécanique haussier indéniable, qui conduit les investisseurs à prendre position sans attendre la traditionnelle hausse d'été.

De multiples mises en garde, voire des cris d'alarme, évoquent certes le ralentissement à venir de la croissance économique, sinon une récession qui affecterait simultanément les États-Unis et l'Europe. La présentation à la mi-juillet de l'ambitieux plan énergétique du président Carter est certes bien accueillie par les cercles politiques et l'opinion publique. Les milieux financiers sont plus réservés. La démission spectaculaire de l'ensemble du cabinet américain et des principaux conseillers de la Maison-Blanche ne fait que précipiter le recul du dollar et la hausse de l'or.

Un tel environnement favorise une certaine pause de la Bourse, qui doit consolider sa poussée de juin. Cela dans d'excellentes conditions puisque la hausse reprend dès le mois d'août pour s'accentuer en septembre, malgré la tension continue des taux d'intérêt (le 12 septembre, la Chase Manhattan Bank porte son prime rate au taux de 13 % inégalé dans l'histoire des États-Unis), malgré aussi l'ascension continue des cours de l'or (350 dollars l'once le 17 septembre, 380 dollars le 20, 50 000 F le lingot) et la faiblesse corrélative du dollar qui revient en dessous de 4,10 F.

À côté des achats effectués directement, ou par SICAV interposées, pour bénéficier de la loi Monory, qui exonère d'impôt les 5 000 F de revenus consacrés à l'achat d'actions, le développement d'un certain nombre de situations particulières contribue à animer le marché. La distribution notamment demeure un champ de bataille actif où l'on peut encore se tailler des empires : les Docks de France annexent Cofradel ; Promodès fait de même avec le réseau Goulet-Turpin, puis les Docks ardennais. Le matériel électrique n'est pas en reste où Matra multiplie les initiatives (Péritel, Jaeger et Jaz en attendant Solex), alors que se précise l'idée d'un rapprochement de Bull et Saint-Gobain-Pont-à-Mousson. Mais ce sont surtout les pétroles qui monopolisent l'attention sous l'effet conjugué du relèvement des prix du brut, de l'amélioration de la situation du raffinage et de la distribution, et des nouvelles découvertes faites dans le Béarn par Esso et Elf-Aquitaine. Ajoutons à cela le regroupement des affaires d'hygiène et santé du groupe Aquitaine (Sanofi, Parcor, Labaz), l'offre publique d'achat de la Lyonnaise des eaux aux actionnaires des Pompes funèbres générales et le projet de reprise de Locatel par la firme britannique Thorn Electrical, pour avoir une idée de l'animation de ces mois d'été.

Aussi l'indice général de la Compagnie des agents de change, qui se situait aux environs de 95 (base 100 fin 1961) début juillet, franchit-il bientôt le seuil de 110, pour atteindre 113,4 le 8 octobre. À une semaine près, le parallélisme avec 1978 est frappant, les achats des institutionnels conduisant l'indice à culminer à trois mois de la fin de l'année. Mais qui dit sommet dit déclin. Le marché a gagné plus de 20 % en trois mois. Il est devenu vulnérable et n'attend qu'une occasion pour se retourner. Elle lui est bientôt fournie par la nouvelle hausse des prix du pétrole. Les taux d'intérêt accentuent leur avance : le prime rate est à 15 % et bientôt au-dessus. L'or pousse des pointes au-delà de 400 dollars, sans être sérieusement affecté par la décision du Trésor américain de remplacer ses enchères périodiques par des ventes surprises. Nul ne veut plus prendre position sur le marché des actions, et les cours s'effondrent : 14 % en un mois, selon l'indice, qui revient début novembre aux environs de 97 quand est investie l'ambassade américaine en Iran. La tension monte dans tout l'islam. Les cours de l'or rebondissent et s'installent durablement au-dessus de 400 dollars.

Redressement

Le marché parisien fait toutefois preuve d'un contrôle remarquable et parvient même à se redresser en ce mois de novembre troublé. Il est vrai que, réconfortées par la politique générale pratiquée depuis dix-huit mois, les sociétés françaises ont reconstitué leurs marges et s'apprêtent à finir brillamment l'année. Les premières estimations de résultats montrent d'ailleurs que les cours sont souvent loin d'être surévalués. Quelques opérations ponctuelles relancent en outre l'intérêt : BSN-Gervais-Danone va céder à Pilkington ses activités verrières étrangères, et Lafarge son secteur emballage à Bille-rud Uddeholm. Sous réserve, bien sûr, dès qu'il s'agit de cessions à l'étranger. Saupiquet et Ross Foods vont au contraire coopérer dans le domaine des surgelés, Thomson et AEG-Telefunken dans celui des tubes de télévision couleurs. À côté de la brillante introduction de Promodès, Le Printemps tente de prendre le contrôle de Paris-France, initiative qui se solde par un échec au bénéfice de la défense organisée par Radar. Quant à l'éternel secteur pétrolier, il bénéficie tant de la hausse du brut que de nouvelles découvertes, malheureusement lointaines.