Quant au Piège d'Ira Levin, Robert Hirsch en a fait une permanente séance de guignol, ou, au mieux, de grand-guignol : il est de grands acteurs qui semblent prendre un plaisir pervers à massacrer leur carrière.

Il en est d'autres, en revanche, qui savent se renouveler avec bonheur. C'est le cas de Claude Rich, auteur et interprète d'Un habit pour l'hiver. Insolite, très pinterienne, sa pièce a un charme grinçant qui ressemble à celui qui l'a écrite. Mais il faut dire aussi que la présence désopilante de Claude Piéplu, sublime et cocasse, ajoutait au plaisir du texte le rayonnement très unique de ce Pierrot quinquagénaire.

Divertissement

Autre enfant de la balle devenu dramaturge, Jean-Claude Grumberg a vu confirmer cette année le succès de L'atelier, dont la reprise, au Gymnase, a sans doute révélé son talent réaliste, émouvant, au public un peu paresseux de ces théâtres bourgeois, en même temps que Jean-Claude Penchenat, dans la périphérie et en province, apportait à En rev'nant d'la revue la décapante intelligence et le sens de la fête appris chez Ariane Mnouchkine.

C'était la fête, aussi, et la joie toute simple du divertissement qu'aurait voulu recréer Raymond Gérome, metteur en scène des Parapluies de Cherbourg passés de l'écran au théâtre via New York. Mais les Français sont moins sensibles à la guimauve poétique des lyrics, et l'entreprise n'a pas connu le succès escompté : nul n'est prophète en son pays... Quitte à s'amuser d'une performance insolite, nos compatriotes ont préféré aux rengaines de Jacques Demy les vers mirlitonesques de Remo Forlani, peignant en alexandrins les mésaventures d'un déprimé dans une maison de repos plutôt singulière. Si la tragédie, vue par les concierges, c'est Un roi qui a des malheurs, la satire s'accommode de la formule, surtout quand Micheline Luccioni mène la danse.

L'humour et la gaieté, vertus peu pratiquées par Robert Hossein, ne sont pourtant pas incompatibles avec le show à grand spectacle, ainsi que le prouve Jérôme Savary et son Magic Circus. Pris à rebrousse-poil, avec la distance de la dérision, le mélo tourne à la rigolade : les Mélodies du malheur n'engendrent pas la mélancolie, et les salles ravies, complices, suivent le train comme un seul homme. En dix ans, le Magic est devenu une institution, presque un classique, mais il a réussi à ne pas y perdre sa jeunesse ; l'exemple est à méditer.

Et profitons de l'occasion pour noter en France l'apparition d'une compagnie hollandaise, les Hauser Orkater, dont les débuts ressemblent à ceux de Savary, naguère, en plus féroces ; la succession est assurée, bien que ces réjouissants démolisseurs ne soient pas seuls dans leur genre : on se souviendra aussi longtemps, dans le Languedoc, d'un irrésistible Faut pas payer, d'après Dario Fo. Une fois n'est pas coutume : une troupe de la décentralisation, les Tréteaux du Midi, dirigée par Jacques Échantillon, a su atteindre le vrai public, et le faire réfléchir en lui arrachant des éclats de rire.

Mais on peut recourir à des grands spectacles plus graves, comme La musique adoucit les mœurs, de Tom Stoppard, qui n'a pas craint d'associer un orchestre symphonique à sa protestation contre le sort fait aux dissidents en URSS. Si les bons sentiments y trouvaient leur compte, et les spectateurs aussi, grâce à la prestation souvent bouleversante de Robert Dhéry, dans un rôle inhabituel, ce n'était tout de même pas la meilleure pièce d'un auteur d'ordinaire plus subtil.

Certains auront préféré retrouver son insolence et son brio dans Rosencrantz et Guildenstern sont morts, adroitement repris par de jeunes comédiens comme Jean-Luc Moreau et Pierre Arditi.

Kafkaïen

Ce dernier, du reste, en début de saison, s'était distingué en créant deux courtes pièces de Havel, Audience et Vernissage, qui dénonçaient aussi la condition des dissidents dans les pays de l'Est, mais avec une authenticité, celle-ci, indéniable, hélas, l'auteur étant en prison à Prague.

Moins émouvantes, mais curieuses et instructives, les Anecdotes provinciales de Vampilov ouvraient également sur l'univers soviétique d'aujourd'hui une fenêtre intéressante, en dépit — ou à cause — d'un comique boulevardier un peu lourd, que Gabriel Garran a su cependant alléger.