Marco Ferreri continue de se démarquer de tous ses confrères avec un film inclassable, très personnel, à la fois symbolique et réaliste, consacré aux enfants par qui, peut-être, l'espoir renaîtra : Pipicacadodo.

Enfin, il faut relever dans la production italienne deux films intéressants, qui laissent tout de même présager une relève : Rataplan, réalisé et interprété par le baladin lunaire Maurizio Nichetti, et, surtout, Une femme italienne, signée Giuseppe Bertolucci (le frère du réalisateur de 1900), envoûtante dérive d'une bourgeoise romaine dans l'immense et baroque gare de Milan.

Allemagne

Avec Apocalypse now et Manhattan, c'est un film allemand qui, sans conteste, a dominé, voire écrasé, la production internationale cette saison. Un extraordinaire récit-fleuve, lyrique, baroque, grinçant, né d'un pari impossible : l'adaptation du roman-monument de Günter Grass, et que Volker Schlöndorff a su gagner. Le tambour, certes bien placé au box-office mais dont on regrette qu'il ne se soit pas hissé encore un peu plus avant, allie imagination, puissance, émotion, vérité historique, réussite formelle, humour. Un superbe monstre dont on n'oubliera plus le petit héros, cet enfant qui a décidé d'arrêter de grandir, dont la voix brise toutes les vitres et qu'interprète l'étonnant David Bennent.

Des autres films venus d'Allemagne, une très bonne surprise encore : Le mariage de Maria Braun, sans doute le film le plus achevé de l'inégal Fassbinder. Une flamboyante parabole sur le relèvement économique (et le reniement spirituel ?) de l'Allemagne du miracle économique, incarnée par une jeune femme douce et éplorée devenue redoutable femme d'affaires, Hanna Shygulla. Et aussi, injustement mal accueillie par le public (et une partie de la critique), La maladie de Hambourg, de Peter Fleischmann, fable grinçante où l'Allemagne, frappée par une mystérieuse épidémie, devient la proie de l'anarchie et d'une aveugle répression.

Quant à Werner Herzog — dont on a pu voir aussi un film vieux de neuf ans, plus documentaire que fiction, Le pays du silence et de l'obscurité, une incursion au pays des sourds-aveugles —, il s'est curieusement consacré, cette année, à un classique du théâtre (et de l'opéra) germanique : Woyzeck. Une œuvre à la fois austère et lyrique, dominée par l'interprétation d'un Klaus Kinski plus grimaçant que jamais.

Divers

Avec la présence, dans la compétition officielle à Cannes, de l'Inde, des Philippines, du Brésil, de l'Australie et, plus coutumier du fait, du Japon, certains ont voulu voir l'amorce d'un renversement de tendance au profit des pays non occidentaux. Peut-être un jour... Mais on en est encore loin.

Restons en Europe, avec, d'abord, la Grande-Bretagne, relativement plus présente cette année que d'habitude. Deux de ses films ont attiré l'attention : Black Jack, de Ken Loach, ou les aventures d'un jeune garçon et de son brutal mentor sur les routes de l'Angleterre encore presque moyenâgeuse, au secours d'une enfant que l'on enferme chez les fous. Un très joli film, original et sensible, que le public a trop ignoré. Et Les Européens, d'après un roman de Henry James, rencontre du Vieux et du Nouveau Monde dans la splendeur de l'été indien de la Nouvelle-Angleterre. Avec une loufoque Vie de Brian, pastiche insolent de celle du Christ, des Monty Python, un film sur le rock, Quadrophenia, de Frank Roddam (sur la mode des Who) et l'étrange Rencontre avec des hommes remarquables (dont le mage Gurdjeff) de Peter Brook, la Grande-Bretagne, dont le cinéma reste presque inexistant, a fait, cette année, un peu plus parler d'elle.

D'Espagne, c'est une fois de plus Carlos Saura qui a donné le seul film intéressant, Maman a cent ans, conte grinçant et un peu onirique sur un pays qui s'éveille parfois maladroitement d'une longue période de refoulement.

La Suède, en l'absence d'Ingmar Bergman dont on n'a vu qu'un documentaire, Mon île Farö, n'a produit que des films restés confidentiels.

L'Union soviétique n'a convaincu ni avec les Cinq soirées de Nikita Mikhalkov ni avec Le marathon d'automne de Gueorgi Daniela. Mais, en attendant le nouveau film de Tarkowski, Stalker, présenté presque clandestinement à Cannes, elle a tout de même produit l'un des plus beaux films de l'année, film-fleuve, lent et majestueux, Sibériade, où Andrei Mikhalkov brosse en de superbes images plus de cinquante années d'histoire à travers la vie d'un petit bourg de la taïga.