Pour le gouvernement Begin, cette année de sursis aurait dû aboutir à la mise en oeuvre de la procédure d'autonomie prévue par les accords de Camp David et le traité israélo-égyptien pour les populations de Cisjordanie et de Gaza, administrées par l'armée d'occupation israélienne, parallèlement à la restitution progressive du Sinaï à l'Égypte et à la normalisation des relations entre Le Caire et Jérusalem. Elle aura été en fait l'année du gâchis. Non seulement l'échéance du 26 mai 1980 n'a pas été respectée, mais sur le terrain la terreur a changé de camp, compromettant les chances de la paix et éveillant le spectre de la guerre civile qui a toujours hanté l'histoire nationale du peuple juif.

Passes d'armes

Cette année perdue, qui n'a fait que reculer l'heure de vérité, aura été également celle des passes d'armes homériques entre les quatre généraux au pouvoir, dont chacun incarne un courant divergent de la coalition élue en 1977, après trente ans de régime travailliste.

À peine entamée la négociation sur l'autonomie, lors de la rencontre Begin-Sadate de Beersheva (27 mai 1979), le gouvernement israélien crée un préalable en autorisant l'implantation d'une colonie du Goush Emounim (Bloc de la foi), Eilon Moreh, sur des propriétés privées proches de Naplouse. Cette nouvelle politique de peuplement juif en zone arabe habitée est conduite manu militari par le fougueux général Arik Sharon, héros de la bataille du Canal d'octobre 1973, chef de file du clan faucon, devenu ministre de l'Agriculture. Combattue par les colombes « aux serres d'acier » que sont au gouvernement les généraux Ygaël Yadin, le vainqueur de la guerre d'Indépendance (1948), Moshe Dayan, le premier conquérant du Sinaï (1956), et Ezer Weizman, l'artisan de la victoire des Six Jours (1967), cette fuite en avant, encouragée par la roideur de Menahem Begin, va entraver les pourparlers et ruiner pour longtemps l'espérance d'un accord global. Dominant désormais le débat intérieur en Israël, elle constitue aussi une redoutable menace pour l'avenir de l'État juif.

Inflation vertigineuse (133 % en douze mois) et tension sociale ne font, d'autre part, qu'aggraver la discorde et la paralysie d'une équipe dirigeante parvenue à son seuil d'impopularité : quatre groupes hétérogènes et huit tendances politiques dont le seul souci commun est de ne point s'aliéner leur base électorale avant le renouveau parlementaire d'octobre 1981.

Nul pourtant n'est prophète au pays des Prophètes. À chaque séisme provoqué par ses choix, ses reculs, ses lâchages, le gouvernement Begin, dont les sondages annoncent régulièrement la chute, oscille mais ne tombe pas, tel un poussah lesté de plomb.

« La coalition est un corps mort », proclame son ministre des Affaires étrangères Dayan, l'œil plus étincelant que jamais au sortir de l'opération d'une tumeur cancéreuse en août 1979.

Ce n'est pas la maladie qui le tient à l'écart des pourparlers sur l'autonomie : empêché de poursuivre le dialogue avec ses interlocuteurs palestiniens, il s'est exclu de lui-même de la délégation diplomatique israélienne présidée par l'inamovible ministre de l'Intérieur, Yosef Burg, et alignée sur les thèses des partisans du Grand Israël. Le 21 octobre, il réussit sa sortie à la manière d'un exploit militaire : sa démission intervient la veille du désaveu cinglant infligé au pouvoir par la Cour suprême, qui ordonne le démantèlement de la colonie Eilon Moreh, déclarée illégale.

Double tempête à laquelle viennent s'ajouter la libération du maire palestinien de Naplouse, interné par l'autorité militaire, et les mesures d'austérité du nouveau ministre des Finances, l'ultranationaliste Yigal Horowitz, successeur du libéral Simha Erlich, après l'échec de la révolution économique.

Cycle infernal

Nouvelle monnaie au nom biblique, le sicle remplace la livre, alourdie d'une décimale, mais la dévaluation garde son rythme. L'ultra Yitzhak Shamir remplace Dayan, mais la fiction des pourparlers sur l'autonomie reste entretenue. Jusqu'à l'escalade dramatique du printemps 1980 qui va mettre fin à toute possibilité de coexistence entre communautés juives et arabes : les extrémistes relaient désormais les modérés dans le cycle infernal de la terreur et de la contre-terreur.