Faut-il mettre au passif ou au crédit de la concertation le cas de la sidérurgie, point majeur de la situation sociale, pendant toute la période ? Certes, il était assurément impensable d'envisager sans heurts graves la suppression de quelque 21 000 à 27 000 emplois. Reste qu'à l'évidence le gouvernement a commis trois erreurs et entretenu une ambiguïté :
– la première erreur est d'avoir dissocié sa politique industrielle de la négociation sociale. Quelles que soient les certitudes des experts — sont-ils crédibles ? —, il est peu réaliste, en effet, de vouloir, à la fois, que les syndicats fassent preuve de leur sens des responsabilités et approuvent un plan économique à l'élaboration duquel ils n'ont nullement été associés ;
– en second lieu, les pouvoirs publics ont raisonné en termes uniquement sectoriels. Or, le problème de la sidérurgie possède une interface, celle des régions de mono-industrie dans lesquelles se situent les usines. La leçon de Longwy et de Denain est claire : le détonateur social tient au fait que la lutte des salariés s'identifie à la volonté de survie de toute une région. Par ailleurs, si la volonté de traiter directement tous les dossiers difficiles prouve le courage politique personnel du Premier ministre, il n'est pas certain que la stratégie adoptée par le gouvernement — affirmer son attachement à l'économie de marché tout en montant aux créneaux — soit la bonne. Nul ne croit sérieusement que le problème de la sidérurgie peut être réglé en dehors du gouvernement. À terme, ce hiatus entre la doctrine et les faits risque de peser lourd ;
– enfin, les hommages rendus au sens des responsabilités des syndicats au lendemain des manifestations violentes de la Lorraine demeurent très ambigus. Cette reconnaissance du rôle indispensable des organisations syndicales, non seulement pour exprimer les revendications mais aussi pour encadrer les salariés, est suspecte, dans la mesure où elle revêt un caractère circonstanciel ; et les hésitations du gouvernement pour modifier le régime des conventions collectives (loi du 11 février 1950) témoignent bien de sa réticence à voir se développer le rôle des organisations syndicales dans la vie économique et sociale.

Spectaculaire, le cas de la sidérurgie n'est pas cependant le seul : à un moindre degré, des phénomènes de même nature (c'est-à-dire des conflits sociaux fondés sur un déséquilibre structurel et une absence de politique à moyen terme) existent ailleurs. L'exemple des banques est significatif à cet égard.

L'inquiétude des employés de banque croît avec la mise en place progressive du plan informatique ; dans un premier temps, les syndicats ont évalué les dégâts du progrès, c'est-à-dire l'impact de l'informatisation sur la déqualification du travail : les emplois faiblement qualifiés dominent désormais très largement dans ce secteur (ils représentent près de 50 %). Mais, aujourd'hui, à la suite du rapport Nora-Minc, ce qui est en cause, c'est l'emploi. En 1990, en effet, « l'installation de nouveaux systèmes informatiques, déclare ce rapport, permettrait des économies d'emploi qui pourraient représenter sur dix ans jusqu'à 30 % du personnel ». Dans un secteur où la concurrence est acharnée, où le marché est quasiment saturé, la recherche de la rentabilité pourrait ainsi aboutir à 70 000 suppressions d'emplois ou de postes. Une super-sidérurgie !...

Nouvelles stratégies

Au cours de cette année de transition, mélange de conflits durs et spectaculaires et d'une recherche difficile de nouveaux domaines de négociation, tous les partenaires sociaux se sont trouvés contraints de remettre plus ou moins publiquement en cause leur stratégie, même s'ils n'ont pas encore tiré beaucoup de conséquences pratiques de leur nouvelle analyse.

Si Valéry Giscard d'Estaing est convaincu qu'il n'y a pas d'autre politique économique possible que celle qui est menée par le Premier ministre, il n'en a pas moins invité, notamment lors de sa conférence de presse du 15 février 1979, le chef du gouvernement à plus de modération. Le caractère abrupt des prises de position de Raymond Barre gêne l'Élysée. L'exécutif s'inquiète de l'évolution de la crise sociale. Jusqu'à présent, la majorité des citoyens n'était que marginalement affectée par les difficultés économiques et seule une minorité éparpillée subissait de plein fouet les effets de la crise. Dans ces conditions, les risques de dérapage paraissent faibles. Maintenant, plus le nombre global des demandeurs d'emploi s'élève, plus le risque augmente.