À Tulle, plusieurs milliers de manifestants protestent également contre la renaissance du nazisme, et c'est à Strasbourg que l'on voit la plus importante manifestation de rue depuis mai 1968. Venus de toute l'Europe, et surtout d'Allemagne fédérale, des anciens déportés et résistants, groupés en 100 associations nationales et internationales de 19 pays ayant subi la pression nazie et fasciste, y compris d'Israël, défilent dans une protestation solennelle et impressionnante. Ils s'élèvent surtout contre l'éventualité de l'entrée en vigueur en Allemagne fédérale, à la fin de 1979, de la prescription des crimes nazis.

Protestations

Les accès d'antisémitisme comme les contre-manifestations ont pour origine, dans une certaine mesure, l'interview de Darquier de Pellepoix à l'Express. C'est à la suite des remous causés par cette interview et sous l'impulsion notamment de Simone Veil, ministre de la Santé et ancienne déportée, et de Jean Pierre-Bloch, président de la Lica, que s'exercent des pressions sur la télévision française afin qu'elle accepte de projeter la série Holocauste, film tiré du livre du même nom de Gérald Green. Le rappel spectaculaire et largement diffusé des événements de la dernière guerre, y compris la responsabilité particulière de certains fonctionnaires français et de la police à leurs ordres, incite à des réactions qui ne sont pas toutes positives.

Toute cette effervescence est naturellement provocatrice de manifestations d'antisémitisme ou de l'édition de tracts orduriers comme ceux d'une Ligue internationale contre le racisme juif. Ainsi, mettant en cause la loi sur l'avortement soumise par Simone Veil au Parlement (Journal de l'année 1974-75), des tracts très largement diffusés évoquent les « Pâques sanglantes de Simone » (ce document est distribué au moment de Pâques et fait sans aucun doute référence à la vieille accusation antisémite selon laquelle les Juifs mélangent du sang chrétien au pain azyme !). Se référant à l'avortement déjà pratiqué en France, le tract titre : « Un Holocauste peut en cacher un autre. »

Après l'incendie de la synagogue de Drancy — et malgré son caractère apparemment accidentel —, c'est sur le lieu même de l'ancien camp de déportation et devant les décombres de la synagogue brûlée que viennent manifester quelque 3 000 personnes. La municipalité de Sarcelles décide, elle, d'ériger une stèle à la mémoire des martyres juifs du nazisme. La communauté de Strasbourg provoque la réunion de l'ensemble des mouvements politiques et syndicalistes de la ville, obtenant du préfet qu'il interdise (en tout cas provisoirement) un meeting projeté à Strasbourg par l'Eurodroite ; les préfets agissent de même à Toulouse et à Nancy.

Inculpation

Dans son interview à l'Express, Darquier de Pellepoix parlait de la responsabilité dans la déportation juive de René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy. La polémique ainsi soulevée conduit Serge Klarsfeld, en sa qualité de président de l'Association pour le jugement des nazis qui ont opéré en France, à déposer plainte contre René Bousquet et son adjoint Jean Leguay, ce dernier étant tenu plus particulièrement responsable de la déportation des enfants juifs. Et, pour la première fois depuis 1964, un juge français prononce une inculpation (celle de Jean Leguay) pour crimes contre l'humanité. D'après les dispositions de la loi, ces crimes sont reconnus imprescriptibles.

Par leur caractère aberrant, les propos et les manifestations antisémites ont un caractère naturellement spectaculaire. Mais ils paraissent à certains bien faibles si on les compare aux témoignages de sympathie à l'égard de la communauté juive de France, plus profonds et plus représentatifs, sans doute, de la France réelle, dont le ministre le plus populaire à en croire les sondages est Simone Veil, juive et ancienne déportée, alors que le nouveau secrétaire général de l'Élysée, Jacques Henri Wahl, est lui aussi juif, fils de déporté.

Les consulats d'Israël en France remettent au cours de cette année près de 20 diplômes de Justes des Nations, décernés par l'institut Yad Vachem de Jérusalem en signe d'hommage aux hommes et aux femmes qui, au péril de leur vie, ont, au temps du nazisme, secouru les Juifs. Ils rappellent ainsi que, même à l'époque où la propagande antisémite avait droit de cité, un nombre très considérable de Français ont été aux côtés des Juifs persécutés. Les agriculteurs français n'ont-ils pas recueilli et caché, alors, quelque 7 000 enfants juifs ?

Relations positives

Autres sujets de réconfort : les relations avec l'Église paraissent positives, plus particulièrement sur le plan français. Mgr Elchinger, président de la commission épiscopale des relations avec le judaïsme ainsi que Mgr Etchegaray, président des évêques français, soulignent avec force les responsabilités chrétiennes au niveau de l'antisémitisme et mettent en garde contre toute provocation et laisser-aller.