Le catholicisme d'Amérique latine est en effet traversé de courants contradictoires, certains se montrant les fidèles soutiens de dictatures militaires, d'autres, au contraire, s'engageant dans les combats révolutionnaires. La précédente réunion des évêques, à Medellin, en Colombie, dix ans plus tôt, avait donné plus de satisfactions aux courants révolutionnaires en soulignant la nécessité d'une libération totale — sociale, économique, politique — des hommes de ce continent.

Or, dans ce discours d'ouverture, le 28 janvier, Jean-Paul II commence par dénoncer « les interprétations incorrectes qu'on a faites parfois » des conclusions de Madellin : autrement dit, on les a trop tirées du côté révolutionnaire. Il demande aux évêques présents de veiller sur la pureté de la doctrine et d'affirmer la foi de l'Église. Il déclare aussi que « la libération politique, économique et sociale » ne coïncide pas fatalement avec la foi en Jésus-Christ. Et, s'il dénonce fortement les violations des droits de l'homme, il ne met pas en cause les régimes qui s'en rendent coupables. Le même ton se retrouve dans le discours particulier qu'il avait adressé la veille aux prêtres et aux religieux : il leur demandait d'être des « guides spirituels » et de ne pas « céder à des radicalismes sociopolitiques qui, avec le temps, se révèlent inopportuns et même négatifs ». Bien sûr, les membres de l'Église doivent travailler à la promotion de l'homme, mais « les fonctions séculières sont le champ d'action des laïcs ».

Ainsi se précise la pensée de Jean-Paul II. À l'opposé des nouvelles « théologies de la libération » qui prônent l'engagement de l'Église — clercs et laïcs réunis — dans le combat pour la libération politique, économique et sociale, il prône une distinction de l'action spirituelle (l'évangélisation) et de l'action temporelle, celle-ci étant l'affaire des laïcs. On retrouve là l'orientation d'un Jacques Maritain. Mais distinguer spirituel et temporel ne signifie pas les séparer radicalement. C'est ce que va rappeler bientôt l'encyclique Redemptor Hominis.

Encyclique

Cette encyclique, Jean-Paul II l'avait préparée pratiquement dès novembre : il est de tradition qu'un nouveau pape précise ainsi ses conceptions dans la première année qui suit son élection. Mais, à la différence de la plupart de ses prédécesseurs, il l'écrira lui-même, directement en polonais.

Ce texte, qui n'aura pas un retentissement considérable, daté du 4 mars, est rendu public le 15. Il aborde de très nombreux thèmes, mais sa première phrase en résume l'esprit : « Le Rédempteur de l'homme, Jésus-Christ, est le centre du cosmos et de l'histoire. » Parce que le Christ s'est fait homme, « l'homme est la route de l'Église ». « L'Église considère cette sollicitude pour l'homme, pour l'avenir des hommes sur la terre (...) comme un élément essentiel de sa mission. » Ainsi se trouve justifiée la défense par l'Église des droits de l'homme ; elle ne peut se désintéresser des choses temporelles ; encore une fois, il s'agit de distinguer mais non de séparer.

On note par ailleurs deux novations dans ce texte. L'une de forme : pour la première fois, dans un document officiel de l'Église, un pape emploie la première personne du singulier, dit « je » et non pas « nous ». L'autre de fond : Jean-Paul II évoque non seulement les droits de l'homme, mais aussi ceux des nations. Un thème qui sera plus remarqué lorsqu'il le développera lors de son voyage en Pologne. Michel Debré dira alors que les propos du pape ont des « accents gaulliens ».

Trois semaines après l'encyclique, Jean-Paul II, dont la puissance de travail surprend tous ses proches, publie un autre texte important : une « Lettre à tous les prêtres de l'Église à l'occasion du Jeudi saint ». Le grand public n'en retiendra que la réaffirmation de l'obligation du célibat. Les prêtres et les théologiens notent, eux, que les conceptions du pape sur le ministère sacerdotal s'écartent résolument de celles de l'avant-garde. Jean-Paul II s'élève notamment contre « les divers projets et tentatives de laïcisation de la vie sacerdotale ».

Nominations

À la même époque, le nouveau pape se préoccupe de la réorganisation de l'administration vaticane. Jusque-là, son arrivée n'avait guère été ressentie à ce niveau. Les bureaux continuaient à fonctionner, certes, mais dans un climat d'attente. « Le pape n'est pas encore arrivé à Rome » y disait-on volontiers. Au lendemain de son élection, Jean-Paul II avait d'ailleurs confirmé provisoirement dans leurs charges tous les responsables de la curie, à commencer par le cardinal Jean Villot, camerlingue et secrétaire d'État. Mais la collaboration entre les deux hommes n'a jamais été très étroite, alors qu'une véritable amitié s'était rapidement instaurée entre le cardinal et Jean-Paul Ier. On pensait donc que Mgr Villot presserait le pape de pourvoir rapidement à son remplacement. Or, il meurt brutalement le 9 mars. Le temps est donc venu de répartir les tâches aux plus hauts niveaux du Vatican.