À la suite de ces tournées et des fructueux échanges qui s'ensuivirent, beaucoup de musiciens anglais se sont mis à composer sur des rythmes reggae. Ceux-ci tirent toute leur puissance de fascination de leur structure répétitive. La plupart du temps, ils confèrent à un morceau une excellente assise rythmique : un élément très positif qui a permis à beaucoup de groupes pop de retrouver quelque chose de primordial, le swing. Ian Dury (décembre et juin à Paris), Police (avril), Joe Jackson (juin) en sont quelques-unes des meilleures illustrations.

À l'opposé, une tendance nouvelle a surgi ces derniers mois, prônant une forme dénuée de toute chaleur, de toute émotion. Cette cold wave est apparue simultanément à Londres et à New York. Elle a recours aux instruments électroniques comme le synthétiseur, qu'elle utilise comme élément hypnotique destiné à provoquer chez l'auditeur un sentiment de malaise, d'irritation, voire de franche agressivité.

Oubli

Les New-Yorkais James Chance, Teenage Jesus, Mars (tous à Paris, en juin) se veulent ainsi destructeurs de toute forme artistique préconçue, tandis que leurs confrères britanniques, Human League (mai), Cure, Throbbing Gristle, proposent une démarche moins névrotique, plus excitante et contenant en germe ce qui devrait constituer l'un des traits de la musique des années 80 : une approche scientifique du son.

Les véritables initiateurs de ce mouvement ne sauraient être oubliés, et l'accueil réservé à Devo en novembre semble confirmer l'attachement du public à ce qui est porteur d'énergies neuves. Pourtant, ni la musique de Devo ni celle de leurs disciples de la cold wave ne sont le fruit d'une explosion, d'une génération spontanée. On en trouve la source aussi bien chez Captain Beefheart, ce génial pataphysicien de Californie, que dans le free jazz de Coltrane ou Eric Dolphy. Dommage que, souvent, les groupes d'aujourd'hui oublient de faire allusion à ceux qui les ont inspirés.

Dinosaures

L'apparition de phénomènes nouveaux ne semble nullement devoir gêner ceux dont la réputation est déjà solidement établie. Et, comme chaque année, la France a vu défiler des cohortes de dinosaures en plus ou moins bon état de conservation.

Le plus fameux, Bob Dylan, offrit une semaine de concerts à Paris début juillet 1978. Accompagné par une grande formation, il présenta des versions considérablement réarrangées de ses chansons les plus célèbres, ce qui fut diversement apprécié par ses fidèles. Eric Clapton, quant à lui, loua un train spécial pour venir à Paris (novembre) le temps d'un spectacle. Santana, en décembre, et Frank Zappa, en février, firent exactement ce qu'on attendait d'eux : un show bien rodé, sans surprise, devant un public venu applaudir les morceaux qu'il connaissait par cœur.

Le point culminant de cette saison fut le premier récital d'Elton John, pendant une semaine au Théâtre des Champs-Élysées. Mais, pour beaucoup, l'action était ailleurs depuis pas mal de temps.

Petites salles

En effet, délaissant les salles gigantesques comme le Pavillon de la Porte de Pantin ou le Palais des Sports, la musique d'aujourd'hui s'est réfugiée dans des lieux aux dimensions plus humaines : au Bataclan, au Stadium, et surtout au Palace. Cette discothèque reçoit depuis deux ans la fine fleur des groupes pop-rock. L'excellent accueil dont ils bénéficient a restauré la position de Paris comme l'une des capitales du monde artistique, au moins en ce domaine. Pour fêter son premier anniversaire, le Palace a présenté en avril une série de concerts mémorables, avec notamment le bluesman texan Johnny Winter, le groupe de rockers bostoniens J. Geils Band et l'extraordinaire chanteur Tom Waits, mi-acteur, mi-jazzman, un des plus sûrs talents sortis de la scène américaine dans les années 70.

Cette ouverture de salles de taille moyenne a permis d'accroître le nombre de concerts et de faire venir des artistes qui, autrement, n'auraient jamais pu être programmés. La formule des clubs serait encore meilleure, puisqu'elle favoriserait les longs séjours d'artistes dans la capitale — ce qui serait très bénéfique pour la scène musicale locale. On a pu le constater avec le jazz, dont les clubs — surtout le Totem et la Chapelle des Lombards — offrent en permanence des spectacles de qualité.