Après avoir conquis Toronto, où il dirige son premier orchestre, puis San Francisco et enfin Boston, un jeune chef japonais, Seiji Ozawa, fait la conquête de Paris par sa spontanéité et sa fougue irrésistibles. Cette consécration s'opère lors de ses deux derniers concerts avec l'Orchestre national de France : le 16 mai, aux Champs-Élysées, où il donne la Symphonie du nouveau monde de Dvorak, et, le 11 juin, dans le cadre grandiose de la basilique de Saint-Denis, où retentissent les accents héroïques de la Symphonie numéro 8 des Mille de Mahler. Mahler qui, cette saison, est le compositeur de prédilection des grands chefs, puisque Zubin Mehta nous permet, à son tour, d'entendre sa Symphonie numéro 3 au Palais des Congrès et qu'Alain Lombard le remet aussi à l'honneur en dirigeant, au festival de Saint-Denis, sa Symphonie numéro 5 et ses Kindertotenlieder interprétés par Birgit Finnila. Ce mois de juin 1979 termine en apothéose une grande saison de concerts puisque Herbert von Karajan dirige, avec l'Orchestre philharmonique de Berlin, aux Champs-Élysées, un concert Beethoven-Richard Strauss et un concert Mozart-Tchaïkovski.

Théâtre lyrique

L'engouement pour le théâtre lyrique se manifeste avec une passion qu'il n'avait encore jamais atteinte, auprès d'un public conditionné par la qualité, de niveau international, des grands enregistrements d'opéras qui lui sont offerts, par cette politique de prestige que Rolf Liebermann applique dans les distributions des ouvrages représentés au Palais Garnier et par l'étonnant pouvoir de masse qu'obtient la télévision, avec des diffusions de plus en plus nombreuses des grands spectacles lyriques des festivals et des opéras de Paris, de province ou de l'étranger.

Comme chaque année, cette saison voit la foule de ses festivaliers se presser pour applaudir : à Aix, Didon et Énée, Alcina et Don Pasquale ; à Orange, Samson et Dalila et Macbeth ; à Albi, Les femmes vengées de Philidor et Cosi Fan Tutte ; et, à Carpentras, Mireille. Un nouveau venu, le festival de La Besnardière, qui a élu domicile dans une vieille grange restaurée des environs de Tours, a présenté, en septembre 1978, son premier spectacle avec le Jules César de Haendel. Son ambition est de devenir le Glyndebourne français.

La saison 1978-1979 à l'Opéra est une réussite incontestable sur le plan artistique. On y revoit des productions qui ont fait leurs preuves comme La Cenerentola, L'enlèvement au sérail, Samson et Dalila, Les vêpres siciliennes, Le couronnement de Poppée, Cosi Fan Tutte ou La bohême qui bénéficie d'un nouveau couple vedette, avec la belle et radieuse Kiri Te Kanawa et le ténor Giacomo Aragall, qui font sensation. Kiri Te Kanawa est aussi la divine comtesse dans Les noces de Figaro. Cinq spectacles nouveaux sont à signaler : le Simon Boccanegra de Verdi, dans une mise en scène spectaculaire de Giorgio Strehler, production d'une grande beauté scénique réalisée en 1971 pour la Scala. Donnée à l'Opéra avec son éblouissante distribution italienne (Freni, Cappuccilli, Ghiaurov, Luchetti sous la direction d'Abbado), ce grand Verdi connaît la même réussite qu'à Milan.

La seconde nouveauté et la plus impatiemment attendue par la critique est la création au Palais Garnier de Lulu d'Alban Berg, représentée pour la première fois dans sa version intégrale. Cet ouvrage, demeuré inachevé par la mort de Berg en 1935 et joué jusqu'ici tel que le compositeur avait dû l'abandonner, a été terminé par Friedrich Cerha, musicien viennois (comme Berg). On attendait cette création à l'Opéra comme l'événement de la saison et cette attente n'a pas été trompée. Lulu est une œuvre déroutante et complexe que l'on peut adorer ou détester, mais qui ne peut laisser indifférent. Elle est portée au triomphe pour cette première version intégrale parisienne, par Patrice Chéreau qui signe là, peut-être, sa plus belle mise en scène lyrique, par Boulez qui la dirige avec une fougue irrésistible et par son interprète titulaire, Teresa Stratas, petite chatte écorchée vive, cruelle et pitoyable.

Deux centenaires

Deux prestigieux théâtres lyriques viennent de fêter leurs centenaires : la Scala de Milan et l'opéra de Monte Carlo. La Scala, le plus célèbre temple du bel canto, chef-d'œuvre de goût et d'harmonie de l'architecte Piermarini, est inaugurée le 3 août 1778. Pour ce bicentenaire, Milan a consacré une superbe exposition à la Scala dont la nouvelle saison lyrique est avancée de quelques mois pour un cycle Verdi où triomphent successivement cinq de ses opéras : I Masnadieri, Le trouvère, Simon Boccanegra, Don Carlos et enfin le fascinant Macbeth, mis en scène par Strehler et dirigé par Abbado, avec Shirley Verrett et Cappuccilli. L'opéra de Monte Carlo, dû, tout comme l'opéra de Paris, à Charles Garnier, est inauguré le 25 janvier 1879. Pour le gala du centenaire, donné le 1er février 1979, c'est le Turandot de Puccini qui est choisi. Ce dernier chef-d'œuvre de l'auteur de La bohême a été créé à l'opéra de Monte Carlo en 1927, tout de suite après sa triomphale première à la Scala. Ce gala du centenaire est un triomphe pour les décors et les costumes éblouissants de Georges Wakéwitch et pour la touchante Liu d'Elena Nauti Munziata.

Contraste déroutant

L'Opéra offre, en mai, son troisième spectacle nouveau avec deux œuvres contemporaines mais très différentes d'inspiration : L'enfant et les sortilèges de Maurice Ravel et l'Œdipus Rex de Stravinski. Tous deux bénéficient de la direction d'orchestre fracassante de Seiji Ozawa, L'enfant et les sortilèges étant une réussite complète, dans une mise en scène où Jorge Lavelli donne cours à son imagination inventive la plus débordante. Après la partition si miroitante, si pleine d'inventions rythmiques et mélodiques de Ravel, celle assez austère et monolithique de Stravinski, qu'aggrave encore une présentation trop statique, forme un contraste un peu déroutant, et il est dommage que le spectacle n'ait pas été entièrement consacré à Ravel en y mettant, à la place d'Œdipus Rex, ce petit chef-d'œuvre d'esprit qui s'appelle L'heure espagnole.