Dès son retour à Moscou et sur la base de ce mince document, A. Juraïtis dénonce, dans la Pravda du 11 mars, de nombreuses « déformations scandaleuses », une « action monstrueuse et préméditée de destruction du monument de la culture russe ». Aussitôt, comme si elle n'avait attendu que cet éclat, l'Union des compositeurs de l'URSS somme les trois coupables de s'expliquer, de s'autocritiquer ou de renoncer.

La Pravda refuse de publier leur réponse, qui paraîtra dans le Monde. Le 21 mars, le ministère soviétique de la Culture télégraphie qu'ils ne viendront pas et propose une nouvelle équipe. R. Liebermann tient bon et, le 3 avril, il décide même de suspendre tous les échanges prévus entre l'Opéra de Paris et les institutions soviétiques dans les années à venir. Il est suivi par Bernard Lefort et la Scala de Milan.

Mais, sans parler des projets à long terme, la seule annulation de la Dame de Pique coûte quelque deux millions de francs aux contribuables français. L'affaire pèsera très lourd sur les relations culturelles franco-soviétiques. Elle souligne, en tout cas, le singulier durcissement de Moscou après la conférence de Belgrade. Car, dans le même temps, et malgré l'énorme scandale international que cette décision a déclenché, les autorités n'ont pas hésité à déchoir de la nationalité soviétique l'illustre violoncelliste Mstislav Rostropovitch et son épouse, la grande cantatrice Galina Vichnevskaïa.

Scala

Soit qu'il se soit agi d'une simple bombe de saindoux, soit que le déploiement des forces policières ait suffi à décourager les habituels manifestants, l'inauguration de la saison anniversaire de la Scala, le 7 décembre 1977, aura été bien plus calme que celle de l'année précédente, qui avait mis la ville tout entière en état de siège.

Ou bien est-ce parce que les spectacles et les concerts, offerts depuis six ans aux étudiants et aux ouvriers de Lombardie, ont touché 100 555 personnes pour la seule saison 1976-77 ? Ou bien encore parce que deux cents animations scolaires seront, cette année, consacrées à Verdi, dont les ouvrages forment le centre de la programmation du bicentenaire de l'illustre théâtre (Don Carlo, Ballo in maschera, Requiem, Masnaderi, La Forza del Destino, Trovatrore, Simon Bocanegra).

La saison se poursuit tout l'été et l'automne, pour s'achever sur la reprise de Don Carlo, le 17 décembre 1978, et enchaîner ainsi avec la suivante.

D'ici à cette date, les Milanais auront pu voir 6 spectacles de ballets et 20 opéras (dont Fidelio par l'Opéra de Vienne, et la création d'une pièce commandée à Luciano Berio), et entendre 13 programmes symphoniques (dont certains par l'Orchestre de Chicago, l'orchestre de la Radio italienne, les Philharmoniques de Vienne et de Leningrad), tous dirigés par des chefs aussi prestigieux que Boehm, Bernstein, Mehta, Leinsdorf, Solti ou Giulini.

À quoi s'ajoutent une série de 12 concerts J.-S. Bach pour les travailleurs, 12 autres consacrés à Schubert, 9 programmes de chambre Liszt-Bartok, joués deux fois chacun, et 3 grandes manifestations de musique contemporaine.

Enfin, avec 7 retransmissions lyriques sur la première chaîne de télévision, la rediffusion de tous les films déjà réalisés par la seconde, l'importante et superbe exposition rétrospective du Palazzo Reale, un cycle de 16 conférences et la publication de 8 livres ou albums de circonstance (dont Deux Cents Années de théâtre à la Scala, en 5 gros volumes et une Histoire de la Scala à l'usage des élèves des écoles primaires), ce deuxième centenaire devrait faire date dans la vie culturelle de toute l'Italie.

Inculpations

Or, c'est à ce moment-là que 40 personnalités majeures du monde lyrique italien sont inculpées en même temps, et 29 arrêtées le mardi 30 mai 1978, dans tout le pays, et incarcérées.

Le style même de l'opération policière a été celui qui prévaut dans les affaires criminelles : tel prévenu est cueilli au saut du lit et emmené en pyjama, tel autre arrêté sur le quai d'une gare dans un grand déploiement de forces, et tous sont transportés jusqu'à la prison de Regina Coeli pour y être mis au secret.