Journal de l'année Édition 1978 1978Éd. 1978

D'une certaine manière, La police des familles de Jacques Donzelot est un commentaire de cette affirmation. Non pas que le bouleversement soit contesté, au contraire. Mais Jacques Donzelot montre précisément que, pour répondre à cet éclatement de la cellule familiale, ont été mis en place à partir du XIXe siècle des systèmes normatifs permettant de contrôler cette cellule. Ainsi s'expliquerait la naissance d'un secteur dit social à caractère d'abord philanthropique (le paternalisme dans les entreprises), puis étatique (l'aide sociale, la médecine du travail). Ainsi s'expliquerait également le succès, au XXe siècle, de la psychanalyse, qui, loin d'être un facteur perturbateur de la famille, aurait un effet régulateur d'une rare efficacité : le discours de la psychanalyse est « providentiel, puisqu'il désigne dans la famille à la fois le seul modèle possible de socialisation et la source de toutes les insatisfactions ».

François Furet et Jacques Ozouf
Lire et écrire
(Éditions de Minuit)
André Chervel
... Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français
(Payot)
Les Français se fourvoient sur l'histoire de leur alphabétisation et sont fourvoyés par leur grammaire. La formule est certes trop rapide, mais deux livres qui, malgré leur différence d'objet, se rapprochent sur de nombreux points, viennent la justifier.

Après avoir consulté une quantité impressionnante de registres de mariage et d'actes d'état civil, François Furet, Jacques Ozouf et leurs collaborateurs, tous influencés par la lecture de Michel Foucault, nous prouvent qu'à la fin du XVIIIe siècle un homme sur deux en France savait écrire. En réalité, c'est au XVIe siècle que la culture orale a commencé à décliner et qu'en réaction contre la religion révélée la Réforme a imposé l'écrit comme nouvelle norme. La Révolution, puis la République n'ont donc pas joué ce rôle décisif qu'on leur accorde volontiers : elles n'ont fait qu'accélérer, en le rationalisant et en le laïcisant, un processus tendant à séparer les individus de leur communauté naturelle et à les soumettre au pouvoir central. Or c'est pratiquement la même conclusion qui nous est donnée par André Chervel au terme de son analyse des « mystifications » de la grammaire française. Pour lui, et il le montre parfois avec des exemples assez vertigineux de cocasserie, loin d'être un édifice cohérent, notre grammaire est une suite de « schémas boiteux et de catégories fluctuantes ». En fait, les théories grammaticales, élaborées non sans mal au cours du XIXe siècle, ont eu pour fonction première d'établir une règle unique à laquelle tous les écoliers de France et de Navarre ont dû se plier. Avec la grammaire et l'orthographe modernes, c'est la langue écrite et le jacobinisme centralisateur qui triomphent, au détriment de la langue parlée et de l'expression régionale. Une situation que les nouvelles théories structuralistes n'ont fait qu'accentuer.

Alain Besançon
Les origines intellectuelles du léninisme
(Calmann-Levy)
Après Marx et Staline, Lénine. Il est en effet assez frappant de constater que, après des révisions souvent déchirantes à propos du marxisme et toute une série de dénonciations du stalinisme, voici le léninisme, à son tour, soumis aux feux de la critique et de la contestation. Pourquoi maintenant plus qu'avant ? La lecture du livre d'Alain Besançon, montrant toute la complexité du problème léniniste, est particulièrement éclairante à cet égard. Alain Besançon commence son enquête en remontant loin dans le temps et en analysant comment la crise religieuse et la réception de la science moderne ont conditionné la naissance d'une idéologie jacobine en France et d'une philosophie romantique en Allemagne. Se tournant alors vers la Russie, il insiste d'abord sur l'éducation religieuse et l'idéologie slavophile, puis surtout sur la formation d'une intelligentsia, qui peu à peu se considérera comme l'avant-garde dépositaire des intérêts populaires. Le léninisme, et notamment la conception d'un parti de type bolchevique, apparaît dans ces conditions comme l'héritage d'une longue tradition et la continuation accentuée d'un système intellectuel dont les mécanismes sont difficiles à comprendre. Le léninisme n'est pas une philosophie, dit Alain Besançon ; ce n'est pas non plus une religion ; en revanche, il s'agit peut-être d'une gnose se prétendant scientifique. Le léninisme est l'expression parfaite et le type même de l'idéologie. Rejoignant ici certaines des analyses de l'écrivain Alexandre Zinoviev dans Les hauteurs béantes, Alain Besançon précise bien que « toute la réalité de l'idéologie se concentre dans l'exercice du pouvoir ». En d'autres termes : aujourd'hui en URSS, le pouvoir n'existe qu'en tant qu'idéologie, et inversement.