Journal de l'année Édition 1978 1978Éd. 1978

Léon Schwartzenberg et Pierre Viansson-Ponté
Changer la mort
(Albin-Michel)
Philippe Ariès
L'homme devant la mort
(Le Seuil)
En l'espace de trois ans, plus de soixante ouvrages consacrés à la mort sont parus en librairie, et cette seule donnée chiffrée se passe de commentaires. Tout n'est évidemment pas de qualité, loin de là, dans cette production torrentielle. Mais, vers la fin 1977, deux livres se détachant nettement du lot ont retenu l'attention. Changer la mort, cosigné par le cancérologue Léon Schwartzenberg et le journaliste Pierre Viansson-Ponté, est un document d'actualité montrant, à partir de seize cas vécus, quels types de rapport l'homme de cette fin du vingtième siècle peut entretenir avec sa mort. La souffrance, la maladie, le cancer, l'hôpital, l'euthanasie, tous ces problèmes qui en général sont occultés ou alors traités avec un parti pris de sensationnel, sont ici abordés avec une sobre gravité. Le cancérologue apporte son expérience quotidienne, et le journaliste s'interroge comme tout un chacun : « Est-on bien sûr que les hommes et les femmes d'aujourd'hui ne finissent pas par regarder la mort, leur mort, en face, de façon plus ferme et déterminée que ce ne fut le cas dans le passé ? »

C'est à cette question précisément que le livre de l'historien Philippe Ariès, L'homme devant la mort, fruit de quinze ans de recherche, permet de répondre. Pour résumer, sans simplifier à l'excès, le sens de cette longue pérégrination cherchant à détecter, depuis les débuts du Moyen Âge jusqu'au dernier quart de vingtième siècle, quelles furent les principales attitudes ou « stratégies » adoptées par l'Occident face à la mort, il faut prendre aux deux pôles les plus extrêmes un cas précis : celui de la mort « subite » ou accidentelle. Se référant notamment aux romans de la Table ronde, Philippe Ariès montre qu'au Moyen Âge « la mort subite était la mort laide et vilaine », qu'elle « faisait peur, paraissait chose étrange et monstrueuse » et qu'elle était « la marque d'une malédiction » : c'était une inconvenance dans la mesure où mourir, en ce temps-là, apparaissait comme « une chose toute simple » et familière à laquelle le mourant se préparait ouvertement et sans pathétique. Inversement, au vingtième siècle, époque où la mort est expulsée de la société pour se dissimuler dans l'anonymat d'un hôpital, où elle est inconsciemment ressentie comme quelque chose de honteux, voire de sale, la mort accidentelle et sans agonie est, tout compte fait, considérée comme la moins mauvaise des solutions : ne pas se voir mourir semble être présenté comme une aubaine. Ainsi donc, l'histoire de la mort en Occident est marquée par le repli progressif de la conscience de mourir et par le refus de plus en plus marqué de traiter cet événement comme une épreuve normale en continuité avec la vie. Mutation qui, selon Philippe Ariès, s'est opérée en cinq étapes successives : on est passé de la mort, au Moyen Âge, apprivoisée dans des manifestations collectives – le cimetière est longtemps resté une grande place publique – à une mort vécue comme une affaire plus individuelle codifiée par l'Église, puis à une mort attribuée à la sauvagerie de la nature, puis à une mort de type romantique et sentimental, pour aboutir enfin à la mort contemporaine d'autant plus solitaire qu'elle est totalement médicalisée.

Edward Shorter
Naissance de la famille moderne
(Le Seuil)
Jacques Donzelot
La police des familles
(Éditions de Minuit)
Il est possible désormais, grâce à l'immense travail de défrichage opéré par la nouvelle histoire, d'analyser de manière beaucoup plus fine la cellule familiale et son évolution. Mais il est vrai que bien des travaux sur la famille présentés depuis quelques années tiennent plus du relevé d'ordinateur que du livre. Celui de l'Américain Edward Shorter échappe à cette critique, et voilà pourquoi, même s'il est contestable (et a été contesté par les historiens), il mérite d'être signalé. Pourquoi la famille, qui encore au XVIIe siècle était « fermement amarrée au sein d'un ordre social plus vaste », a-t-elle rompu les amarres, se repliant sur elle-même et devenant une finalité en soi ? Et pourquoi, au bout du compte, ces mêmes valeurs familiales érigées en principe sont-elles apparues, et aux femmes d'abord, moins importantes, voire répressives ? Les réponses d'Edward Shorter sont d'autant plus intéressantes qu'elles sont placées dans la perspective de la situation présente. Car la famille « post-moderne », en acceptant le divorce, dont la banalisation ne serait pas, selon l'auteur, la conséquence de la législation, mais d'une union principalement fondée sur la recherche de la jouissance érotique, vit « l'un des plus profonds bouleversements que le couple ait connus. La rupture du lien conjugal, marginale et scandaleuse au XIXe siècle, est peu à peu passée dans les mœurs jusqu'à devenir une très réelle possibilité pour chacun d'entre nous aujourd'hui. Les gens en sont venus à trouver normal de n'être pas assurés de passer la totalité de leur vie ensemble. »