L'attente est telle de la part du public que la chanson se trouve de nouveaux lieux pour s'exprimer. Il s'agit plus d'une nécessité que d'un hasard pour tant de salles privées ou subventionnées, qui ouvrent de plus en plus leurs portes à cet art populaire. Ainsi La Renaissance à Paris, où Jean-Roger Caussimon se produit au cours du mois de mai. Ainsi le Palais des Arts qu'aménage Lionel Rocheman et qu'inaugurent Anne Sylvestre et ses nouvelles chansons (Comment je m'appelle, Dis-moi Pauline, Le centre du motif).

Il n'est plus uniquement de bon bec que de Paris. À Bordeaux le centre Giani Esposito, à Grenoble le Fellap poursuivent leurs activités pour révéler des talents locaux. À Besançon, Claire, une jeune artiste populaire depuis sa participation à la grève des Lip, organise avec ses amis de l'association Masques un festival intitulé Chant libre. Nous sommes au début du mois de mars, et la plupart des chanteurs ignorés par le spectacle parisien s'y retrouvent dans une atmosphère de fête.

Le clou, en cette saison, demeure Le printemps de Bourges, une semaine consacrée à la chanson par la maison de la Culture de la cité berrichonne, du 6 au 10 avril. Tous les artisans de la nouvelle chanson française, Jacques Higelin, Henri Tachan, Catherine Ribeiro, Leny Escudero, François Beranger et bien d'autres, entourent Charles Trenet, à qui ils rendent un vibrant hommage.

1977, c'est encore l'année des 70 ans de Tino Rossi : la radio, la TV et le disque lui rendent l'hommage dû au chanteur de charme français no 1.

Et, enfin, comme chaque année, le concours Eurovision de la chanson a mobilisé les petits écrans européens. Prévue en avril à Wembley, près de Londres, cette compétition faillit n'avoir pas lieu à cause d'une grève des techniciens de la BBC. C'eût été dommage pour Marie Myriam, la jeune interprète représentant la télévision française, qui emporta la palme avec une ballade nostalgique de Joël Gracy et Jean-Paul Cara : L'enfant et l'oiseau. Une chanson d'amour et d'espoir.

L'année se termine par des compétitions : moins connu mais peut-être plus significatif est le festival de Spa (Belgique), qui se tient tous les ans à la Pentecôte. Une jeune Française, le 28 mai, s'illustre en remportant le Grand Prix du Festival, le prix de la Presse et le prix du Public : Françoise Marie-Vigne, une personnalité en demi-teintes, une émotion à fleur de voix, dont le premier disque (Le dernier Roméo, Quelqu'un) met d'accord public et critiques. La jeune artiste montre qu'on peut être de « bonne qualité » et « populaire » tout à la fois.

Jazz et pop

Vers la crise ?

Au commencement, il y avait le jazz, le blues et le rock. L'amateur le moins averti pouvait reconnaître facilement l'un ou l'autre genre. Et puis, au fil des années, les musiques se sont diversifiées, les styles interpénétrés, et le néophyte se perd au milieu des étiquettes nouvelles, généreusement distribuées par la presse spécialisée. La fin des années 70 semble tout particulièrement prolifique à ce point de vue.

Les genres

Une classification rigoureuse est impossible, d'autant que beaucoup de genres se situent à la lisière d'un ou de plusieurs courants majeurs.

Rock and roll

C'est l'un des styles les plus anciens. Son histoire remonte au début des années 50. Ses héros s'appellent Bill Haley, Elvis Presley, Gene Vincent. Quelques-uns sont encore en activité et vont chaque année sur les routes proclamer la permanence d'un esprit qui ne veut pas mourir. À Paris, les vieux rockers en blouson de cuir et bottes pointues ont applaudi Jerry Lee Lewis le 28 février 1977 et Chuck Berry le 11 mai. Ces vétérans ont exécuté le numéro que l'on attendait d'eux : un récital de leurs grands succès de naguère, entrecoupés de chansons nouvelles, généralement moins bien accueillies.

Rockabilly

Altération du précédent : il reçoit de nombreux apports country and western. Aujourd'hui en désuétude, il a connu une grande vogue en Angleterre vers la fin des années 50. C'est d'ailleurs dans ce pays qu'il survit, grâce à son public de fidèles, réunis autour d'un groupe, Crazy Cavan (février).

Country rock

À ne pas confondre avec le rockabilly. Le country rock est le fruit de la rencontre du tempo du rock and roll et de la chanson populaire du sud des États-Unis. Les groupes les plus connus (Marshall Tucker, octobre 1976 ; ZZ Top ; Allman Bros ; Lynyrd Skynyrd) se produisent généralement habillés en cow-boys de pied en cape et rencontrent dans leur pays un immense succès. Leur musique très musclée et les thèmes plutôt patriotiques de leurs chansons n'y sont point étrangers.

West Coast

Encore assez proche du country rock, le style West Coast (californien) est caractérisé par une plus grande douceur des mélodies, souvent influencées par le courant folk (Crosby, Stills, Nash and Young). Carrefour de nombreux genres, la West Coast doit son renom à l'extrême raffinement de sa production, à la limite de la préciosité. Les studios de Los Angeles fabriquent à la chaîne cette musique de grande consommation, où il est bien difficile de distinguer les groupes les uns des autres. Lorsqu'une formule rencontre un certain succès, elle est immédiatement appliquée à l'ensemble de la production, d'où un manque profond d'originalité. Tout le monde s'accorde à reconnaître que cette partie de l'Amérique a connu des jours meilleurs à l'époque des Byrds (qui ont failli se retrouver à Paris le 7 mai 1 977) ou du Jefferson Airplane (son descendant, Hot Tuna, est venu chez nous en septembre 1976).

Progressive rock

C'est en Angleterre que cette formule a rencontré le plus grand succès. Généralement, on appose le label progressive à tous les groupes inclassables ailleurs, à tous ceux qui ont fait entrer dans le monde du rock des influences classiques ou des recherches contemporaines. Leurs références : Stravinski, Varèse, Stockhausen, mais aussi Bach et Wagner. Les premiers à tenter ces expériences sont restés les plus connus : Yes, Emerson, Lake and Palmer, King Crimson et bien sûr le Pink Floyd (à Paris, fin février). Aujourd'hui, ces groupes s'essoufflent. Ils se séparent définitivement (King Crimson) ou n'assurent plus que la pérennité de leur entreprise, non sans une certaine lassitude apparente (Pink Floyd, ELP).

Le planant

On appelle musique planante celle qui recherche dans les sons les éléments d'un rêve, ou d'une fascination. Cela peut aller des musiques répétitives (Terry Riley) jusqu'aux synthétiseurs des Allemands (Tangerine Dream, Klaus Schulze). Si l'auditeur n'adhère pas au propos du musicien, il risque fort de beaucoup s'ennuyer. Toutefois, certains planeurs ont réussi à pimenter leur musique d'excellent rock and roll, tel Steve Hillage (novembre 1976, au festival Beau Rock), chez qui l'on retrouve l'influence de Jimi Hendrix alliée à une science des sons qui viennent souligner son propos mystique.

Rock décadent

Il y a encore quelques mois, cette étiquette recouvrait une réalité : ambiguïté sexuelle des artistes, regards vers le passé, mode rétro, mythe de la star. David Bowie en était la parfaite illustration. Bryan Ferry est venu montrer, le 4 mars 1977, qu'il pouvait, lui aussi, maîtriser l'art millénaire du jeu des masques. Aujourd'hui, le mot décadent n'est plus guère utilisé dans le monde du rock. La nouvelle sophistication se donne un autre nom : punk.

Punk rock

À l'origine, un rock critique américain désignait par ce vieux mot d'argot les petits groupes des années 60 qui n'avaient connu qu'une gloire très éphémère. Puis, par extension, on l'a appliqué aux groupes des années 70 qui connaîtraient vraisemblablement le même sort. Très vite, ces artistes ont revendiqué l'étiquette. À New York d'abord : dans deux clubs, CBGB et Max's Kansas City, des dizaines de musiciens se produisent chaque semaine devant un public qui leur ressemble. Là naît une nouvelle musique, à la mesure de l'époque : pauvre, souvent angoissée, stridente, parfois perverse. En avril et mai, les formations les plus connues viennent visiter Paris : Ramones, Cherry Vanilla, Wayne County. Entre-temps, la fièvre punk s'est emparée de l'Angleterre, où elle revêt une allure tout à fait différente : agressivité, grossièreté, musique ultraviolente et cheveux courts de rigueur. Les groupes font scandale, insultant la reine (Sex Pistols, à Paris en septembre 1976) ou appelant à la rébellion (Clash et les Damned, en avril 1977). En France, quelques groupes se branchent timidement sur le mouvement, sans rencontrer une audience populaire aussi large que leurs homologues anglo-saxons (Asphalt Jungle, Stinky Toys, Warm Gun, Rock Chaud, Angel Face).

Hard rock

Si le rock survit, tout au long de son histoire et de ses bouleversements, c'est finalement grâce au hard rock. Le tempo binaire dans toute sa splendeur, martelé avec plus ou moins d'élégance et de savoir-faire, et surtout beaucoup de bruit. Les meilleurs puisent dans le blues l'essentiel de leur inspiration (Ted Nugent, le 21 mars 1977). Les autres se contentent parfois d'une imitation correcte des Rolling Stones, ces grands ancêtres (Aerosmith, le 1er novembre 1976).

Blues rock

C'est un style déjà ancien, mais dont le succès ne s'est jamais démenti. Ses origines viennent essentiellement du blues électrique de Chicago (Elmore James, Albert King), qui a trouvé dans les brumes anglaises un climat favorable. Certains de ses meilleurs adaptateurs sont encore en exercice, bien qu'ils aient parfois choisi une orientation légèrement différente depuis (Fleet wood Mac, en avril ; John Mayall, en mai ; Éric Clapton, en juin).

Rhythm and blues

Dans le climat général de retour aux formes originelles, le rhythm and blues, proche parent du blues électrique, connaît un regain de faveur. Les groupes anglais qui tournent dans les pubs jouent cette musique d'essence noire à leur manière : un peu sèche, sans le secours d'artifices électroniques (Doctor Feelgood, le 6 novembre 1976 ; Eddie and the Hot Rods, en octobre 1976, janvier et mai 1977).

Jazz rock

Le mot a fait fortune. Ses interprètes aussi. Pourtant, si jamais musique a manqué d'originalité, d'invention, voire de couleur, c'est bien celle-là. Sa froideur technique, très démonstrative, fascine les musiciens professionnels. Les Français en sont les premières victimes, et l'on ne compte plus chez nous les sous-produits d'un jazz rock américain déjà bien essoufflé. Quelques groupes composés de virtuoses arrivent encore à soulever l'enthousiasme des spectateurs des Pavillons de Paris (Weather Report et Billy Cobham, en juillet 1976 ; Jean-Luc Ponty et Larry Corryell, en mai 1977).

Indo rock

Une nouveauté : la rencontre d'un grand musicien de jazz rock et de quatre musiciens traditionnels indiens. Le résultat : Shakti, avec John McLaughlin et une démarche uniquement motivée par la recherche de la beauté absolue (à Paris, en mai 1977).

Rock allemand

Champions de la technologie de pointe en électroacoustique, les Allemands ont créé une dimension nouvelle dans la musique. Leurs synthétiseurs, énormes machines à produire des sons, créent un espace différent sur la scène, formant un décor futuriste qui convient parfaitement à leur musique d'extraterrestres (Klaus Schulze, en mai ; Kraftwerk, en décembre).

Reggae

Venu de la Jamaïque, ce style a peu à peu conquis l'Angleterre, puis le monde. Bâti sur un riff particulier, immédiatement reconnaissable, le reggae est en passe de remplacer la soul music dans le cœur des Noirs. Dans son pays d'origine, il a une importance considérable, réglant la vie de tous les jours et influençant jusqu'aux idées politiques des habitants de l'île. Celui qu'ils considèrent comme un prophète, Bob Marley, est venu à Paris en mai. Un film avec le chanteur Jimmy Cliff (Tout, tout de suite) permet de mesurer dans quel climat cette musique voit le jour : celui des ghettos et de la misère.

Soul music

En pleine décadence depuis quelques années, ce genre est encore très populaire chez les Noirs américains. La production, de plus en plus sophistiquée, étouffe l'élan vital sous les violons et les arrangements sirupeux. Les deux monstres sacrés, Diana Ross et Marvin Gaye, étaient à Paris au début de l'année.

Disco

Le fond de l'abîme. Des studios fabriquent au kilomètre cette musique totalement dépourvue du moindre esprit et qui tend à remplacer, dans les supermarchés et sur les ondes de FIP, les versions dites « diminuées » des chansons populaires de jadis.