Journal de l'année Édition 1977 1977Éd. 1977

Michel Foucault
La volonté de savoir (Histoire de la sexualité, tome 1)
(Gallimard)
Depuis Les mots et les choses, Michel Foucault nous a habitués à une réflexion allant à contre-courant de nos habitudes de pensée. On attendait donc avec une certaine curiosité le 1er tome de son Histoire de la sexualité. Or la surprise a quand même été beaucoup plus grande que prévu. Ainsi, contrairement à l'hypothèse admise selon laquelle l'Occident aurait, à partir du XVIIe siècle au moins, vécu la question sexuelle sous le signe exclusif de la répression et sous le sceau du secret inavouable, il apparaîtrait que l'interdit n'est pas le point central du « dispositif de la sexualité ». « Je ne dis pas, précise Foucault, que l'interdit du sexe est un leurre ; mais que c'est un leurre d'en faire l'élément fondamental et constituant à partir duquel on pourrait écrire l'histoire de ce qui a été dit à propos du sexe à partir de l'époque moderne. » Au contraire, et justement depuis cette époque moderne, nos sociétés n'auraient pas cessé, en réalité, d'affirmer, d'interroger, de comptabiliser, et de confesser le sexe au point de créer une véritable « scientia sexualis », dont la psychanalyse, loin de rompre avec le passé, serait la dernière occurrence. Rattachant cette contre-hypothèse à ses précédentes analyses sur le pouvoir, Foucault se demande alors si l'interdit ou la censure sont, dans le fond, les manières dont s'exerce réellement le pouvoir. Et s'il n'y aurait pas dans cette volonté effrénée de « savoir » propre à l'histoire de la sexualité occidentale une des manifestations les plus sophistiquées « des techniques polymorphes du pouvoir », ce pouvoir venant de partout et « qui est le nom qu'on prête à une situation stratégique complexe dans une société donnée ».

Jean Baudrillard
L'échange symbolique et la mort
(Gallimard)
Observateur impitoyable des sociétés développées (on lui doit entre autres deux essais remarqués : Le système des objets et La société de consommation), Jean Baudrillard a écrit avec L'échange symbolique et la mort son livre le plus difficile, le plus désespéré et le plus lourd de conséquences.
D'après lui, si l'ère industrielle était marquée par la « production », l'ère post industrielle, celle qui nous englobe, vit sous l'instance de la « reproduction ». Avant, on produisait des marchandises ; maintenant, on ne fait que les reproduire. D'un côté, la loi de la valeur était marchande, de l'autre elle est purement structurale. Nous vivons dans une espèce d'hyperréalité, dominée par un code généralisé, un échange pur des signes sans aucune référence à un réel : tout est à la fois vrai et faux, beau et laid, tout peut s'inter changer selon une combinatoire infinie. Reste seulement un système manipulateur qui fonctionne selon une logique de type binaire. Cette situation de « fin de la production » permet à Baudrillard d'écrire : « L'erreur fantastique de Marx est d'avoir cru quand même à l'innocence des machines, de la technique, de la science. » L'échange symbolique et la mort veut au contraire prouver que la célèbre formule « medium is message » à travers laquelle Mac Luhan montrait que l'information est produite par les médias, doit être étendue à l'ensemble du corps social et jusque dans ses profondeurs. Partout, la loi, en rabattant tout sous l'instance de son code, empêche la réalisation de la seule possibilité de libération : un échange symbolique qui serait mortel pour le système. Mais la mort étant, elle aussi, planifiée par ce système qui a mis en place des mécanismes la contrôlant très soigneusement, la seule solution, selon Baudrillard, serait « de retourner contre le système le principe même de son pouvoir : l'impossibilité de réponse et de rétorsion. Défier le système par un don auquel il ne puisse pas répondre sinon par sa propre mort et son propre effondrement. » En d'autres termes : à un acte de défi et de violence symbolique comme la prise d'otages, l'une des formes modernes du suicide, le système est parfois contraint de répondre par la mort violente. Mais, ce faisant, en annulant son principe suprême, celui de tout pouvoir négocier, le système se porte un coup mortel.