Journal de l'année Édition 1977 1977Éd. 1977

Jacques Ruffié
De la biologie à la culture
(Flammarion)
Après le succès des livres comme Le hasard et la nécessité de Jacques Monod, ou La logique du vivant de François Jacob, on a pris consience de la fascination exercée par le modèle biologique. Dans De la biologie à la culture, Jacques Ruffié a justement cherché à voir ce que la biologie pouvait apporter aux sciences humaines.
Résumant d'abord les principales théories sur l'évolution de la vie, de celles qui penchent vers une nécessité absolue jusqu'à celles qui défendent un hasard sans nécessité, Jacques Ruffié préconise une synthèse entre ces différentes conceptions. Il utilise pour cela la notion de palier évolutif ou de « palier d'intégration » : à chaque stade de l'évolution allant du moléculaire au social, les mêmes éléments génétiques reviennent mais dépassés chaque fois par un phénomène de spécialisation, pour créer un nouvel individu. Examinant ensuite l'origine de l'homme, il montre que celui-ci a incontestablement bénéficié d'un très lointain héritage accumulé par les espèces animales. Mais avec l'homme apparaît aussi la culture. Une mutation considérable, puisque peu à peu l'évolution ne se fera plus sur la seule pression de la sélection naturelle, mais à partir de critères mettant en jeu les connaissances et l'intelligence. Ce qui implique, au demeurant, une situation historique très neuve : si tous les hommes sauf une tribu africaine disparaissaient, « le monde se retrouverait brutalement ramené à 7 ou 8 000 ans en arrière », tandis que, si toutes les abeilles sauf une femelle fécondée étaient exterminées, « en quelques semaines, la ruche serait reconstituée selon les mêmes normes que dans le passé ». Le passage du biologique au culturel est le cadre dans lequel Jacques Ruffié examine alors le problème des races humaines et du racisme. Pour expliquer que la notion de race, loin d'être une réalité biologique, est seulement une commodité statistique, et que les polymorphismes génétiques entre populations sont beaucoup plus accentués que leurs prétendues différences. Enfin, un certain nombre de questions fondamentales pour l'avenir, comme l'école, la famille, la démographie ou l'atome, sont abordées par l'auteur : pour montrer, à la lumière de cette substitution du culturel au biologique, que l'humanité se trouve « à la croisée des chemins » entre « un palier nouveau d'intégration » ou « le retour à l'animalité ».

Edgar Morin
La méthode
(Le Seuil)
On découvre avec La méthode qu'Edgar Morin est l'un des chercheurs français les plus ambitieux dans le domaine des sciences humaines. Ne faut-il pas d'ailleurs une certaine audace pour publier un livre dont le titre, La méthode, se situe explicitement dans la lignée de Descartes et le sous-titre La nature de la nature dans celle de Lucrèce ? Effrayé par « le vide barbare dans l'organisation de notre savoir qui se croit le plus avancé : le savoir scientifique », Edgar Morin s'est lancé dans une entreprise de remise en ordre se voulant encore plus radicale que le doute cartésien. Car, au-delà des réussites techniques évidentes et du développement fécond de recherches nouvelles comme la cybernétique, il lui semble que la science moderne a perdu son sens en renonçant à une vision du monde. La science physique, par exemple, est, à elle seule, divisée en trois branches, la micro-méso et macro-physique, et paraît incapable de réaliser un minimum nécessaire d'unité. Cette spécialisation forcenée de la recherche et cet éparpillement du savoir à travers des disciplines apparemment de plus en plus hétérogènes sont un grave et dangereux renoncement. Face à cette situation, La méthode est une tentative essayant de montrer à quelles conditions une sorte de complémentarité antagoniste dans la circulation des connaissances est concevable entre l'anthropo-sociologie, la biologie et la physique. Ou, très schématiquement, entre les sciences du social et les sciences de la nature. Au terme de son voyage, Edgar Morin finit par lancer un singulier défi aux philosophes et aux savants : n'est-ce pas la conception même de la nature, « la nature de la nature », qui doit être réexaminée de fond en comble ?