Journal de l'année Édition 1977 1977Éd. 1977

C'est ainsi que les mesures en faveur de l'emploi qui figurent dans le plan du 26 avril s'analysent, pour l'essentiel, comme un transfert statistique. On remet de jeunes chômeurs en apprentissage rémunéré ; on incite les chômeurs étrangers à regagner leur pays avec un pécule de 10 000 F ; on autorise les personnes de plus de 60 ans à se retirer du travail avec 70 % de leur salaire, dans l'espoir que cela donnera des places aux jeunes ; ce qui consiste, au fond, à réduire le nombre des chômeurs temporaires (les jeunes) en augmentant celui des chômeurs définitifs (les retraités). Au total, ce plan réduit le nombre apparent de chômeurs sans créer beaucoup de nouveaux emplois.

En réalité, la pensée profonde du Premier ministre est que tout dépend de l'aptitude des Français à rompre avec les habitudes inflationnistes qui caractérisent toutes les catégories sociales, c'est-à-dire avec ces habitudes qui consistent à anticiper la hausse des prix, au vu de ce qu'elle a été dans le passé, notamment dans la détermination des rémunérations. Pour Raymond Barre, c'est ce nœud qu'il faut trancher.

S'il bloque les prix en lançant son plan de septembre 1976, ce n'est pas pour le plaisir de faire du dirigisme. Au contraire, il en a horreur. C'est parce qu'il estime impossible de bloquer le pouvoir d'achat des rémunérations en 1977 (son objectif prioritaire) sans avoir, au préalable, démontré à l'opinion publique qu'il voulait s'attaquer à la vie chère. Mais il a conscience du caractère artificiel de la mesure du blocage. Pour en sortir en douceur au début de 1977, il sacrifie 8 milliards de recettes fiscales en décidant d'abaisser la TVA sur un grand nombre de produits. Nouvel artifice destiné au même but que le blocage : démontrer que la hausse des prix n'est pas fatale.

Pouvoir d'achat

Ces artifices produisent leurs effets sur l'indice des prix, dont la progression est ramenée à 0,3 % en décembre 1976, et encore au même taux en janvier 1977. C'est alors que le Premier ministre frappe son grand coup. Il refuse de renouveler les accords de salaires dans le secteur public et nationalisé, sur les bases précédemment admises par les pouvoirs publics et par les syndicats. Ces accords prévoyaient, en effet, une progression du pouvoir d'achat (c'est-à-dire une hausse des salaires supérieure à celle des prix), quelles que soient les circonstances de la vie économique. Or, R. Barre a décidé de bloquer le pouvoir d'achat de toutes les rémunérations en 1977, pour briser l'enchaînement hausse des prix — hausse des salaires — hausse des prix. Son aptitude à réussir ce coup de frein chez les salariés d'État est évidemment la condition nécessaire pour convaincre les patrons d'en faire autant dans le secteur privé. La partie est donc décisive. Finalement, malgré les vives protestations des syndicats et quelques journées de grèves (qui culminent dans la grève générale du 24 mai 1977), le Premier ministre gagne son pari. Le pouvoir d'achat des salaires est effectivement bloqué, dans les secteurs public et privé, pendant tout le 1er semestre de 1977.

R. Barre enregistre son succès avec la hausse des salaires horaires, dans le secteur privé, au 1er trimestre de 1977, hausse ramenée à 2,3 % contre 4 % au 1er trimestre de 1976. Les patrons ont suivi les « recommandations » du gouvernement, recommandations assorties, il est vrai, de menaces discrètes à l'égard des entreprises qui ne se soumettraient pas : blocage des prix, retrait des commandes de l'État, refus des crédits publics.

Critiques

Cette politique constitue, pratiquement, le seul exemple de politique autoritaire des revenus en France depuis le retour à la libre discussion des salaires, en 1950. Beaucoup de pays voisins, en revanche, ont eu recours à de telles politiques, soit autoritaires, soit négociées avec les syndicats, pour essayer d'endiguer l'inflation. Elles ont, d'ailleurs, plus ou moins réussi...

En modérant la hausse des revenus, le Premier ministre est convaincu de faire d'une pierre deux coups. D'un côté, il freine les coûts de production (pour l'entreprise, le salaire est un coût) et, par-là, les prix. D'un autre côté, il contribue à la reconstitution des profits des entreprises, ce qui leur donnera les moyens d'investir et donc de créer des emplois.